Jules-Henry THINEY
( ancien notaire, 1924 )
NOTICE SUR BERNON
( Aube )
TYPOGRAPHIE FIRMIN-DIDOT ET Cie
MESNIL-SUR-L'ESTRé ( EURE )
1928
L'Histoire
est une résurrection. ( Michelet )
L'Histoire
de la contrée, de la province, de la ville natale est la seule où notre âme
s'attache par un intérêt patriotique, les autres peuvent nous sembler
curieuses, instructives, digne d'admiration, mais elles ne nous touchent point
de cette manière.
(Aug.
Thierry, Lettres sur l'histoire de France.)
AVANT-PROPOS
Idée
au long essor, rêve antique des hommes,
Dans
un texte enfermés vous venez jusqu'à nous.
Ecrits
des jours anciens, premiers livres, c'est vous
Qui
du sauvage errant, fîtes ce que nous sommes.
Mme Daniel LESUEUR.
L'objet de cette notice est de
montrer comment Bernon s'est formé et développé à travers les âges et comment
ses habitants furent administrés et vécurent aux diverses époques.
Dès le IVe siècle saint
Chrysostome voulait que chaque village eût son église, son voeu fut réalisé
dans la suite par les fidèles du christianisme triomphant. De même M. A..
Monteil (dans son traité des matériaux manuscrits) disait : "les moindres
villages devraient avoir leur historien". Or, ce désir du savant
publiciste, nous avons tenté de l'accomplir pour notre pays natal ; mais sans
l'arrière pensée, disons le bien vite, d'avoir réussi dans cette tâche.
Recueillir quelques documents épars, enregistrer quelques événements d'une
importance toute local, risquer quelques conjectures sur un passé ténébreux, tel
est le but que nous nous sommes proposé et un travail de cette nature, avec ses
lacunes, ses hypothèses, ses inexactitudes sans doute, ne peut évidemment
mériter le nom d'histoire. Sorte de mémorial de famille, d'un attrait et d'une
utilité également contestables, cette notice ne saurait trouver grâce devant
les lecteurs indifférents ; mais si, dans ce village, ce livre rencontre
quelques hommes qui, aimant la cité où fut leur berceau, où ils ont pour ainsi
dire leurs racines, doivent aimer aussi à en suivre à travers les âges la lente
évolution, à en dérouler les humbles annales, à connaître enfin de quelle vie y
vécurent les générations qui nous ont précédés, ce livre aura sa raison d'être.
C'est à ces lecteurs surtout qu'il s'adresse et l'auteur borne son ambition à
leur sympathique accueil. "Aux sociétés savantes, a dit M. Bazet, il
appartiendra de rechercher, d'examiner les documents, d'en déterminer la
valeur, avec cette précision qu'assure l'expérience de la vie locale, de
continuer la publication de leurs savants mémoires. Ainsi, dans chaque pays,
s'élaboreront, par une collaboration cordiale, ces histoires de villages, de
villes, de provinces, qu'il faut en quelque sorte récrire et mettre au courant
tous les cinquante ans.
J.
H. THINEY
Nota : Il n'y a guère dans cette notice rien de nouveau que des
descriptions de faits ou événements tout locaux. La plupart des documents et
des constatations ont déjà été publiés ailleurs, dans divers ouvrages,
notamment dans le dictionnaire géographique de l'Aube par MM. BOUTIOT et
SOEARD, et dans l'histoire civile et ecclésiastique du diocèse de Langres par
l'abbé DEMANGIN où les éléments principaux ont été puisés.
Là où j'ai eu à mentionner un fait
ou une hypothèse déjà publiés je les ai rappelés sous la même forme. Le lecteur
m'en excusera en pensant que mon but n'était pas de faire oeuvre de littérateur
mais d'historien local.
PREMIERE PARTIE
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
__________
Nom, situation, limites,
superficie.
Sur le palier inférieur occidental
du plateau de Langres, dans le fond d'une vallée jurassique, orientée du
sud-est eu nord-ouest et baignée par le ru Deniot-Mandrille, petit affluent de
gauche de la rivière de l'Armance, dans laquelle il se jette au-dessous d'Ervy,
un village d'aspect agréable, se développe au milieu d'une fertile plaine, au
pied d'une éminence, en forme de promontoire, que dominait jadis une
forteresse.
Ce village, entouré de prairies et
de coteaux pittoresques, ondulés çà et là par quelques gorges et ravins, et
couverts de forêts, c'est Bernon, qui fut tour à tour: oppidum gaulois dans le pagi
des Lingons ; castrum gallo-romain ; vicus avec poste militaire, dans la
Bourgogne et le conté de Langres pendant la première et la seconde race de nos
rois ; ensuite paroisse et seigneurie avec fief féodal et château fort sous la
suzeraineté des évêques, comtes de Langres, tant pour le spirituel et
l'administration épiscopale que pour la mouvance, mais ressortissant, par son
inféodation, au domaine ecclésiastique de Saint-Vinnemer, et du comté de
Tonnerre, ensuite des comtés héréditaires de Bar-sur-Seine et de Champagne.
Ville close, paroisse et seigneurie,
avec fief héréditaire, dépendant de la terre de Tanlay, aux derniers jours de
la monarchie absolue, dans le comté de Champagne.
Chef-lieu d'un canton au début de la
révolution de 1789, créé en exécution du décret du 15 janvier 1790, dépendant
du district d'Ervy, comprenant sept communes : Bernon, Avreuil, Coussegrey,
Lignières, Marolles, Prusy et Vanlay, et supprimé l'an VIII (loi du 28 pluviôse,
17 février 1800).
Aujourd'hui simple commune du
département de l'Aube, arrondissement de Bar-sur-Seine, canton de Chaource (en
vertu du même décret) ; et paroisse fondée au XIIe siècle par le
diocèse de Langres et réunie au diocèse de Troyes par le Concordat (15 juillet
1801).
Des hauteurs dont il est environné,
Bernon se présente de la façon la plus séduisante. L'ensemble de ses
habitations, d'aspect confortable, solidement construites en pierres grises,
calcaires du pays, généralement blanchies à la chaux, ou crépies au ciment
tyrolien, et couvertures de tuiles ; ses rues larges et bien alignées, ses
faubourgs se développent en forme de croix latine sur les versants des coteaux,
couverts de vignobles et d'arbres fruitiers, son ru bordé de buissons, de
saules et de hauts peupliers, qui coule en serpentant au milieu de la plaine et
des prairies, et qui arrose le village, tout contribue à charmer le spectateur
et à en faire un séjour agréable.
La partie la plus importante du
village se trouve sur la rive droite du ru Deniot. Elle comprend tout la
superficie (d'environ treize hectares) occupée naguère par l'ancienne cité
entourée de fossés et au milieu de laquelle se trouve la Grande-Rue où aboutissent
toutes les autres : dans le haut, faisant fourche, les rues de la Brèche et de
l'éperon ; au centre, formant carrefour dit des Quatre-Rues, les faubourgs du
chemin de Vanlay et de la Fontaine, celui-ci réunissant les habitants bordant
les chemins de Lignières et de Marolles ; et la rue du Four qui correspond dans
le haut avec le faubourg de la Fontaine et dans le bas à la Grande-Rue, proche
de l'église.
Le territoire de la commune de
Bernon est borné à l'est par les finages de Coussegrey et Prusy, à l'ouest par
celui de Chessy ; au nord par celui de Vanlay, et au sud par celui de
Lignières. Les seules dépendances de la commune sont : le moulin et deux
maisons sises à Bois-Bureau.
Le village est à 153 mètres
d'altitude. Latitude 48° ; longitude E. 1°40' du méridien de Paris.
Un réseau de chemins vicinaux et
d'intérêt commun, relie Bernon aux pays voisins à l'exception de Turgy et
Vallières qui sont encore desservis par les vieux chemins non carrossables
d'autrefois.
La population est laborieuse, de
moeurs paisibles ; les crimes y sont inconnus, les opinions politiques
modérées.
Le dernier recensement fait en 1896
constate une population totale de 384 habitants, dont 197 du sexe masculin et
187 du sexe féminin, tous sachant lire et écrire. Le nombre des maisons est de
115 ; celui des ménages de 131 ; le français est la seule langue parlée dans le
pays, où l'on retrouve seulement quelques vieilles expressions qui tendent à
disparaître. Les habitants sont tous catholiques.
Les impositions annuelles qui en
1789, s'élevaient à 2.621 livres 15 sous 8 deniers atteignent actuellement le
chiffre de : 11 127 francs, pour la commune seulement.
La contenance totale du finage de
Bernon, d'après le cadastre exécuté en 1830, s'élève au chiffre de 1.754 h. 51
ares ; le nombre d'habitants, soit : 384, divisé par celui de 1.754 h. 51 ares
donne environ 22 habitants par 100 hectares où par kilomètre carré, soit en
moyenne 4 h. 55 ares par habitant. C'est ce que l'on nomme la population
spécifique. Le nombre des parcelles, qui est de 6.160, divisé par celui des
habitants donne 16 parcelles en moyenne par habitant et 47 par feu.
En 1896, on a compté dans la commune
: 87 chevaux et juments ; 220 vaches, 400 moutons, 80 porcs, 200 ruches
d'abeilles, 1 450 poules et coqs, 207 oies, 120 canards, 100 dindons, 250
pigeons, 200 lapins.
Les autres produits agricoles sont
le bois, le vin, le blé, le seigle, l'orge, l'avoine, le chanvre, la navette,
le colza et en général toutes les céréales, et les plantes sarclées ; les
produits de basse-cour et de l'élevage du mouton et des vaches laitières,
etc... Tous ces produits sont réputés pour leur parfaite qualité.
A Bernon tous les habitants sont
adonnés à l'agriculture ; le moulin à blanc, une scierie mécanique, une
fromagerie, sont actuellement les seules industries en exploitation dans le
pays.
Quant au commerce, la commune
importe des articles de ménage, d'épicerie, de librairie, de mercerie, de
quincaillerie, du linge des vêtements, des chevaux, ânes et mulets, des cochons
de lait, etc... ; elle exporte des bois de charpente, du charbon de bois, des
pierres pour les routes, des grains, des légumes, du beurre, des fromages, du
bétail, de la laine, des volailles, etc.. et en général, de tous les produits
de son industrie agricole excédant les besoins de sa population.
Le village de Bernon doit à sa
situation entre deux forêts et à l'humidité légère qui flotte dans l'air de la
vallée produite par un ruisseau, un air salubre, pur ; mais assez vif. Les
maladies les plus fréquentes sont les affections inflammatoires, plus ou moins
intenses, les pneumonies, pleurésies, inflammations d'entrailles ou d'estomac,
affections rhumatismales aiguës ou chronique, amygdalites, les maladies
cutanées et exanthémateuses, telles que la scarlatine et la rougeole. Aucune
endémie ne peut y être signalée.
Le sol de la commune de Bernon est
compris dans la large ceinture des terrains secondaires ; il renferme deux des
grandes formations géologiques ; la plus ancienne située au sud-est de Bernon
est composée de terrains jurassiques représentés par deux assises distinctes :
le calcaire kimméridien (terre rouges dites crayeuses) et le calcaire
porlandien (grosses terres, grises bleues). En se dirigeant dans le sens de la
vallée, on trouve, un peu au-dessous des sommets de chaque versant, des
terrains crétacés (la craie est rouge ocre) divisés en calcaire néocomien et en
argiles portant le même nom ; plus des argiles bigarrées et des terrains
sableux vers les sommets. Outre ces formations anciennes, il existe dans le
fond de la vallée une étroite plaine où sont déposés des terrains d'alluvions,
entraînés par les cours d'eau des ravins. Les dépôts de ce terrain, de
formation quaternaire, sont nommés diluvium.
Dans la région du calcaire
porlandien et du calcaire néocomien on trouve beaucoup de coquilles marines,
notamment des coquillages d'huîtres, de moules, des ammonites, etc... On trouve
aussi du sable blanc quartzeux, comme celui de Fontainebleau, vers les sommets,
principalement aux lieux dits : Bois-Bureau et le chemin de Lignières.
Il existe une différence de niveau
sensible entre le fond de la vallée et les sommets des coteaux. Tandis que le
village de Bernon est à 155 mètres environ d'altitude les sommets de coteaux
environnants atteignent une hauteur moyenne de 205 mètres. C'est sur la rive
gauche de la vallée que ce trouve le point le plus élevé du finage, au lieu-dit
Bois-le-Roi, haut de 228 mètres au dessus du niveau de la mer, quant au ru
Deniot-Mandrille, appelé aussi ru de Bernon, il quitte le territoire de la
commune par environ 140 mètres. C'est l'endroit le plus bas du finage. Entre
cet endroit et le sommet de Bois-le-Roi, la différence est d'environ 88 mètres.
Le département de l'Aube appartient
tout entier au bassin de la Seine. C'est donc vers ce fleuve que descendent
toutes les eaux du bassin bernonnais, mais indirectement par les rivières : 1°
de l'Armance, dans laquelle il se jette à quelques kilomètres au-dessous
d'Ervy, entre le Mesnil, commune de Courtaoult, et Mézières, commune de Chessy
; 2° de l'Armançon dans laquelle se jette l'Armance vers Saint-Florentin ; 3°
de l'Yonne qui reçoit l'Armançon vers Laroche et qui se jette dans la Seine à
Montereau.
L'ensemble du bassin bernonnais se
présente comme une cuvette en forme de fer à cheval, composée de terrasses
concentriques, se rattachant à l'est aux collines de Tonnerre et de la Côte
d'Or, penchant légèrement au sud-ouest, et se prolongeant en ondulations
parallèles jusque dans la vallée de l'Armance, avec, dans le fond, entre les
escarpements, une étroite plaine au milieu de laquelle se développe le ru
Deniot-Mandrille, son tributaire et son débouché hydrographique.
Dans sa partie supérieure au-dessus
du village de Bernon, l'étendue de ce bassin se développe sur environ les deux
tiers du finage de cette commune, sur une partie des finages de Lignières et du
Grand et Petit Virey, et sur la totalité du finage de Coussegrey, Chaserey et
Prusy, le tout formant une superficie de 4 400 hectares environ. Si l'on admet
qu'il tombe en moyenne, par année, sur cette surface environ quatre-vingts
centimètres d'eau de pluie, dont les deux tiers seulement sont évaporés, ou
assimilés par les plantes et le sol, il reste un volume de deux millions de
mètres cubes, environ, d'eau qui s'écoule annuellement par les sources et le ru
de Bernon ; cette chute, vers le moulin, est d'environ 80 litres à la seconde
en été et à l'automne et 150 à 200 litres en hiver et au printemps, donnant
ainsi une force hydraulique qu'il serait intéressant d'utiliser.1
Tandis que les sources du ru de
Mandrille, au nombre de trois principales, situées à l'est un peu au-dessus du
moulin, au lieu dit les Roches, sont d'un produit constant de 80 litres environ
par seconde, celle du ru Deniot étant situées en terrain jurassique très
perméable, sont intermittentes et très variables dans leur rendement ; c'est ce
qui occasionne la différence de volume d'eau, dans la chute vers le moulin, où
le ru Deniot opère sa jonction avec celui de la Mandrille. Les sources du ru
Deniot tarissent ordinairement vers la fin de l'automne. Elles sont au nombre de
cinq principales, d'un produit réuni d'environ 100 à 200 litres à la seconde,
selon la durée et l'abondance des pluies ; et elles sont situées : la plus
haute, sur le territoire de la commune de Chaserey ; d'autres vers le bas de
Coussegrey, sur le territoire de cette commune ; et les autres sur le
territoire de Bernon : l'une, appelée la Douine, au débouché du ru des
Vicilles-Vignes, au pied des Montaudoins ; d'autres au débouché du ru des
Crolères, lieu dit le ru de Fogiot, et, enfin, celle située au lieu dit le
Faubourg de la Fontaine, dans le village. Cette dernière d'un produit de 2 à 5
litres à la seconde ne tarit que très rarement.
1
-Cette force pourrait être facilement régularisée et doublée par la création
d'un vaste étang réservoir de plusieurs hectares de superficie de deux à trois
mètres de profondeur, dans la région marécageuse des sources de la Mandrille,
au moyen d'une chaussée formant barrage au-dessous de cette région et par des
digues appropriées autour de la surface à inonder. Cette chaussée aurait en
outre l'avantage de relier entre eux les deux chemins d'Ervy qui existent de
chaque côté de la vallée. - Les chiffres du produit des sources sont
hypothétiques et non contrôlés.
Le ru Deniot reçoit en outre les
eaux pluviales qui n'ont pas été absorbées par le sol et qui lui parviennent
par les nombreux ravins qui sillonnent les deux versants de la vallée.
Les principaux de ces ravins, ceux
situés sur le territoire de Bernon, sont : sur le versant de droite, le ru des
Vieilles-Vignes, celui des Picasses, le ru dit Velu ou des Crolères, le ru des
Plarciaux, et le ru Damoi, ou ru de Bois-Bureau ; et, sur le versant de gauche
: les rus de la grande et de la petite vallée, ou Vallée-Mère-Grand-Prou ; le
ru de la Vignotte, les rus de la Prie et le ru Becca. 1
Quand un orage vient à fondre sur la
contrée tous ces ravins grossissent à vue d'oeil et transforment en peu de
temps le ru Deniot en un torrent qui parfois déborde et inonde les prairies,
ainsi que toute la partie basse du village.
Dans son parcours sur le finage de
Bernon le ru Deniot-Mandrille se dirige au milieu de la plaine et des prairies
dans la direction du sud-est au nord-ouest. Son lit pierreux est gréveux dans
le fond, d'une largeur moyenne de trois à quatre mètres environ - au dessus de
l'étiage, est irrégulier et d'un accès difficile. Depuis sa jonction avec le ru
de Coussegrey, son tributaire pour la partie supérieure du bassin,
jusqu'au-dessous de Bernon, vers le bas de la grande rue, proche de l'église,
le lit actuel du ru Deniot a été creusé par la main de l'homme en dehors et au
sud de son ancien lit naturel, lequel suivait naturellement les sinuosités du
niveau le plus bas de la vallée, et réunissait ses eaux à celle du ru Fogiot
qui fut également détourné de son lit naturel dans la partie inférieure vers le
haut de la Grande-Rue.2
La pêche au vairon, à la lotte
(moutelle et tétard) y est très fructueuse surtout au moment du frai, au
printemps ; mais, en raison du peu d'importance des produits, elle n'est guère
pratiquée qu'à la ligne par les enfants, comme divertissement ; on y trouve
aussi du poisson blanc dans le bief du moulin et de belles écrevisses
au-dessous des sources de la Mandrille.
1
- Tous ces ravins ont une grande largeur et une profondeur de plusieurs mètres
vers la partie supérieure de la couche argileuse qui occupe à mi-côte les deux
versants de la vallée. On a attribué cet état de choses à des creusements
pratiqués pour alimenter des tuileries et briqueteries dans les temps passés ;
mais cette supposition nous paraît erronée. Ces creusements, exécutés par la
main de l'homme, à des époques que l'on ne peut préciser, eurent pour objet
deux opérations distinctes. La plus ancienne, celle où les fouilles sont plus
importantes et plus profondes, notamment celles pratiquées dans les ravins des
Crolères, des Plarciaux-de-Bois-Bureau, dans le ru de la Charmeure, entre
Vallières, Turgy et Vanlay, les Tranchées des Places et de la montée du chemin
de Turgy, etc...appartient à un système de fossés avancés autour de l'ancien oppida et du château fort qui
subsistèrent longtemps sur le coteau à l'est au dessus de Bernon. La seconde,
plus récente, celle où les fossés furent pratiqués dans tous les autres ravins
sur l'autre versant de la vallée, comme aussi à l'entrée des chemins autour du
village paraît appartenir à un nouveau système défensif du village de Bernon,
qui fut aussi qualifié de Ville Clos par des fossés.
Ce système avait pour but d'empêcher la
contrebande par transport à dos d'âne ou de cheval, des marchandises passant de
Champagne en Bourgogne et réciproquement sur le territoire de Bernon, à
l'époque où celui-ci confinait au deux provinces. Des bureaux de perception
établis à la même époque sur les marchandises, il ne reste plus de vestige. Ces
postes, établis à l'entrée des chemins de pénétration aux extrémités du
territoire étaient situés vers le Breuil, à Bois-Bureau, aux Bruyères ; au Son,
au bas de la rue des Vieilles-Vignes et de la grande vallée, au caron de jonc,
au chemin d'Ervy, etc..
2
- Ces travaux de canalisation, dans la traversée de la rue du Four, ont mis à
jour des vestiges d'une ancienne nécropole dans laquelle ont été trouvés des
cercueils de pierre gallo-romains. Au sud, attenant à ces vestiges, on remarque
aussi des débris d'une ancienne construction qui paraît avoir été avoir été un
monastère remontant aux premiers temps du christianisme, et qui aurait été
édifié, pour se substituer à un temple païen dédié au culte des fontaines.
Centre important de pèlerinages, il aurait joué un rôle prédominant dans
l'Eglise celtique. Après l'invasion des
barbares il fut dirigé par des moines catholique français et devint finalement
une église paroissiale. L'église actuelle qui date du XIIe siècle, aurait été
érigée, non loin de là pour remplacer cet ancien temple païen, devenu
catholique.
De nouvelles fouilles pratiquées
sur l'emplacement de ces vestiges par des archéologues donneraient sans doute
des résultats intéressants pour l'histoire de Bernon.
L'emplacement où gîtent ces
vestiges est facile à déterminer, il suffit de semer du chènevis dans le champ
qui le renferme. La mauvaise croissance du chanvre à l'endroit où ils sont
enterrés sera un indice certain pour leur découverte. Nous avons fait cette
remarque à chaque récolte de chanvre sur ce champ.
Avec le ru de Coussegrey dans sa
partie supérieure en amont au-dessus de la source de la Douine, et deux autres
petits ruisseaux dont il est tributaire en aval du territoire de Bernon, savoir
: le ru de l'étang de Vanlay, à droite et le ru de Lignières à gauche, le ru
Deniot-Mandrille, que les géologues de l'aube désignent plus particulièrement
sous la dénomination du ru de Bernon, baignent Coussegrey, Bernon, Le Breuil,
la Maison-Rouge, Survannes, Chessy et Mézières où il se jette dans la rivière
de l'Armance. Son parcours depuis la source de Chaserey à son embouchure vers
Mézières est de 16 kilomètres, environ, et dans sa traversée sur le territoire
de Bernon de 5 kilomètres.
La contrée très accidentée et
boisée, renferme toutes les variétés de la flore et de la faune du centre de la
France.
Grâce à sa situation sur la limite
géographique où le sol jurassique disparaît, en partie, sous les dépôts
sédimentaires argilo-calcaires et sableux de l'âge crétacé, limite qui servait
autrefois de délimitation aux régions naturelles des pays pagi. La vallée de Bernon était prédestinée à servir
d'intermédiaire entre les habitants de la grande plaine de Champagne et ceux
des collines de Bourgogne, entre les Lingons et les Tricasses, dans
l'antiquité, et entre les Champenois et les Bourguignons ensuite. La voie
romaine qui passait à l'extrémité nord de l'ancien oppidum justifie cette
hypothèse.
t
de s'établir sur les hauteurs a toujours été dans la suite de descendre dans
les plaines sur les bords des cours d'eaux, Bernon a suivi cette tendance
commune. Etablis d'abord dans la plaine des Vauguedaines, autour de l'ancien oppidum, les habitants descendirent plus tard leurs demeures au confluent
des rus Deniot et Fogiot, dans le fond de la vallée. Il en fut de même pour leurs
relations politiques et commerciales qui devinrent peu à peu plus actives avec
la Champagne, qu'avec la Bourgogne ; c'est sans doute ce fait qui a permis aux
comtes de Champagne d'étendre leur domination sur la contrée et de l'incorporer
à leur domaine.
DEUXIEME PARTIE
HISTOIRE
_________
CHAPITRE PREMIER
Epoque gallique et gallo-romaine
Bernon possède encore des vestiges
d'un très lointain passé, bien que ces souvenirs ne remontent pas au temps même
de sa fondation.
Celle-ci,
que la légende attribue à Zeus orageux, c'est-à-dire à l'attrait des sources
qui jaillirent de son territoire, remonte, certainement, à la plus haute
antiquité, comme l'ont d'ailleurs constaté les historiographes qui ont visité
la contrée, lesquels ont déclaré (dans le
Dictionnaire topographique de l'Aube) : "que les belles sources qui
donnent naissance au ruisseau de Bernon ont, dès les temps les plus reculés,
attiré les populations sur leur bords".
Si les Berconnais avait su, comme le
Breton, conserver la langue de ses aïeux, peut-être donnerait-il encore à la
vallée au milieu de laquelle le village s'est groupé son nom gaélique de Bernn,
que le village a lui-même retenu, et qui signifie : "joncheraie dans un
terrain bas, brenneux", par opposition aux terrains secs et aux ravins
desséchés qui l'entoure. Le contraste est saisissant, même encore aujourd'hui,
mais combien ne devait-il pas l'être davantage il y a deux mille ans et plus
quand ses nombreuses sources non encore canalisées ni dirigées dans leurs lits
actuels, répandait dans tout le fond de la vallée, en ruisseaux tortueux,
bordés de joncs et de roseaux, leurs eaux vives et abondantes . Divers aspects
de lieux, par exemple le pré des Places, les Roches, témoignent encore
aujourd'hui en faveur de cette hypothèse. Qu'on se figure l'état marécageux
dans lequel se trouvait à cette époque l'emplacement de la Grande-Rue, où se
réunissaient les eaux des rus Deniot et de Fogiot, et celles des ravins des
Plarciaux et de la Vignotte, comme aussi celles de la source du faubourg de la
Fontaine, on aura une idée de l'aspect des lieux dans cette région à l'origine.
C'est à monsieur Leprévost, dans le dictionnaire de l'Eure, sur Bernay que
nous empruntons cette étymologie et nous l'adoptons comme étant d'accord avec
le bon sens, chose rare en pareille matière, et les habitants des idiomes
gaulois où tous les noms de lieux faisaient image.
D'autre part, M. l'abbé Garnier,
curé de Lusigny aurait aussi défini l'étymologie de Bernon : "Bernon vient
du mot celtique bernn qui veut dire ours. A l'époque celtique quelques
maisonnettes s'établirent autour de la fontaine ; les habitants mirent leurs
demeures sous la protection de leur dieu Bernn. Plus tard, quand la foi
chrétienne remplaça la paganisme, on purifia l'endroit en y élevant une croix
qui aurait subsisté longtemps et de Bernn on aurait fait Berno et ensuite
Bernon".
Cette étymologie est celle de la
ville de Berne, en Suisse, ou l'emblème d'un ours est resté traditionnel ; mais
il n'en est pas de même pour notre pays où il n'existe aucune tradition
semblable. C'est pourquoi nous préférons adopter celle empruntée à M.
Leprévost, comme étant d'accord avec les traditions des idiomes gaulois dans
notre pays.
On peut supposer aussi que Bernon
viendrait du nom de Brennus dont on aurait fait ensuite Bernon. Le nom de
Brennus était très fréquent dans l'ancienne gaule, et l'on sait que ce nom fut
celui dans fameux général qui prit Rome en l'an 390 avant Jésus-Christ et qui
était originaire des Lingonnes, dont Bernon dépendait à cette époque. Dans
cette hypothèse on suppose que c'est ce général qui aurait fondé et fait
fortifier l'oppidum qui a longtemps subsisté sur l'un des
coteaux au-dessus de Bernon, et auquel on aurait donné son nom. Mais nous ne
croyons pas que Bernon puisse se glorifier d'avoir eu pour parrain un
personnage aussi illustre, du moins il n'en existe aucune preuve.
Voici encore, à titre documentaire,
un fait qui, s'il était admis, aurait l'avantage de fournir à la commune de
Bernon, pour ses armoireries, un emblème héraldique : le corbeau, rappelant un
souvenir de la plus haute antiquité. D'après cette hypothèse Bernon viendrait
de brannovii, dérivé de brannos, corbeau. Dans les commentaires
de Jules César sur la guerre des Gaules le pays de Brannos ou du Corbeau est
mentionné dans l'énumération des peuples auxquels un contingent de troupes fut
imposé pour allé secourir Alésia, comme étant de la Gaule Celtique et client
des Eduens. Livre VII-LXX-2 : "Imperant
Hœduis atque œrum clientibus (le fait d'être client d'un peuple supposait
une sorte d'alliance), Segusiavis,
Ambiraveris, Aulercis, Brannivices,
Brannovii : millia XXXV." On
place les Segusiavis sur la rive droite du Rhône, près de Lyon, et les
Ambiravetis sur les bords de la Loire entre Eduens et les Bituriges ou entre
les Senones et les Mandubii à Ampilly-le-Sec, près de Châtillon-sur-Seine ;
quant aux Aulercis, Brannovices et Brannovii, on ne sait rien de ces peuples
quelques personnes veulent les trouver entre la Loire et l'Yonne sur les confins
des Senones, mais on peut supposer avec plus de certitude que ces peuples
habitaient les vallées de l'Armançon et de l'Armance, formant deux peuples
dépendant des Lignons, mais clients des Eduens. Le fait qu'il s'agit d'une
région boisée remplie de corbeaux, et la quasi certitude d'une forteresse à
Bernon dès cette époque, donnent un certain crédit à cette hypothèse.
Dans les actes et documents anciens
concernant notre pays, Bernon est désigné comme suit : Bernonus (cartulaire de
l'abbaye de Molesme, 1097 ; et cartulaire général de l'Yonne, 1099).
Bernun (charte de Thibaut II, comte
de Troyes, 1139).
Berno (camusat Promptuatium 1°318,
vers 1140)
Bernona (cartulaire de l'abbaye de
Saint-Loup, 1148)
Vernon (ordonnances des rois de
France, tome XVI, pages 393-1465)
Brenon (ordonnances des rois de
France, tomme XVII, page 156-1468).
Et enfin, Bernon (cartulaire de
l'abbaye de Larivour, archive de l'Aube, manuscrit du 13e siècle) ;
(archives communales et archives hospitalières de Chaource ; charte de l'abbaye
de Quincy) ; (recueil d'aveux et dénombrements rendus au roi de France à cause
de sa châtellenie de Bar-sur-Seine) ; (manuscrit de la fin du XIV e
siècle, archives de l'Aube).
Ce nom qui a traversé, sans être
entamé, les civilisations romaine et chrétienne apparaît comme un témoin des
premiers âges et la preuve vivante de sa destination dans la Gaule. Quelle fut
cette destination ? A défaut de la tradition et de l'histoire nous avons
l'induction pour nous guider et, pour étayer notre opinion, quelques épaves
archéologiques échappées au naufrage des siècles, comme nous le verrons plus
loin.
Les plus anciens habitants qui se
sont établis dans la contrée paraissent avoir été les Celtes ou Gaels venus à
une époque inconnue des plaines de l'Asie centrale ; puis ensuite les Belges ou
Kymris, qui arrivèrent vers l'an 600 avant Jésus-Christ et occupèrent tout le
nord de la Gaule jusqu'à la Loire.
Le fond fertile de la vallée de
Bernon dut attirer de bonne heure les populations anciennes dès leur apparition
sur notre territoire. Quelle meilleure défense que cette vallée dont les pentes
et les hauteurs étaient couvertes d'épaisses forêts ? Quelle retraite plus sûre
et plus à la portée de son ruisseau poissonneux et des bois giboyeux des
alentours ? Ces populations trouvèrent dans les hauteurs, à proximité de la
vallée, une place fortifiée par la nature, un oppidum auquel la main de l'homme n'avait que peu de chose à
ajouter pour en faire un abri sûr.
Des peuplades à demi sauvages qui
l'habitèrent en ces temps reculés, aucune trace n'est venue jusqu'à nous.
D'anciens usages naguère encore en vigueur dans la contrée : le feu de la
Saint-Jean et celui du carnaval, entre autres exemples, la croyance aux fées,
aux sorciers, la vénération des sources aux eaux desquelles la crédulité
publique attribuait le pouvoir de guérir certaines maladies ou plaies, sont des
traditions gauloises. Le culte que les Gaulois rendaient aux fontaines et aux
arbres est un fait connu.
Ces vestiges, ces souvenirs des âges
Celtiques, annoncent que nos pays possédaient, à l'époque, la plupart des
centres de population que nous voyons aujourd'hui et qui formaient un pagus, dont Langres était la capitale.
L'expression Pagus est Gauloise,
quoique le mot pagus soit latin . Ce
fait est généralement accepté aujourd'hui.
La France qui a vu si souvent se
modifier les divisions politiques adoptées par les divers gouvernements a
conservé au milieu de ces variations fréquentes les vieilles circonscriptions
gauloises des pays pagi. Pourquoi
cela ? C'est que les dénominations spéciales affectées à certaines contrées ou
pays ont leur raison dans la constitution géologique du sol. Le bon sens des
paysans a devancé ici la science, il a distingué par un mot particulier chaque
étendue offrant le même aspect ou la même culture.
Ces régions physiques forment un
tout réel que mutilent souvent les circonscriptions administratives. Les
différences géologiques ont pour corollaire des changements dans l'aspect du
pays, dans la végétation, dans sa culture, dans la forme même des habitations,
dans leur disposition isolée ou par groupe. C'est à ces différences qu'on a
donné le nom de régions naturelles. Fondée sur la constitution même du sol, ces
divisions en pays, ont survécu à toutes les crises politiques et persistent
jusqu'à nos jours.
Et c'est pour cela que Bernon a été
compris, à l'origine, dans le pagus
des Lingons1 auquel il se
ramifie par ses coteaux et s'identifie par sa formation géologique et physique;
Il est certain que le pagus a désigné sous les Gaulois une
peuplade secondaire, sous les Romains un district administratif ; sous les
Mérovingiens une espèce de territoire. Nous admettons, en fait, l'existence du pagus Lingonensis (le pays des Lingons), dans le cadre duquel était
compris le pagus du Tornodorensis (le
Tonnerrois), dont Bernon dépendait. Sous les Romains ce même pagus fut compris
dans la cité diocèse et comté de Langres ; et sous les Mérovingiens dans le
royaume de Bourgogne, mais sous la suzeraineté des évêques comtes de Langres,
qui tenaient sans doute cette terre de la munificence des premiers rois
chrétiens.
1
- Le pays des Lingons est exactement limité par les formations géologiques dans
le département de l'Aube ; il renferme toute l'étendue des terrains jurassiques
qui comprennent une partie du Sud-Est au Nord-Est, en suivant une ligne droite
de Marolles-sous-Lignières à Soulaignes et passant par Lignières, Bernon,
Chaource, Vandeuvres et Drannes (dict. top. de l'Aube).
L'Histoire civile, politique et
religieuse de Bernon, se lie donc intimement dès son origine à celle de la
cité, diocèse et comté de Langres ; et, ensuite, par son inféodation, à
l'histoire des comtés héréditaires de Tonnerre, de Bar-sur-Seine et de
Champagne, comme nous le verrons dans la suite.
Jules César envahit la Gaule et s'en
rendit maître de l'an 58 à l'an 52 avant Jésus-Christ. Le pays des Lingons
accepta l'un des premiers les lois du vainqueur. Son dévouement aux Romains le
fit mettre au rang des fédérés. Le pays de sens, au contraire, ne fut jamais
soumis. Les derniers dans la lutte sont du pays de Sens.
Au temps de César le pays des Sénons
est rangé dans la Gaule Celtique ; le pays des Lingons, dans la celtique au temps de César, passe dans la Belgique
sous Auguste.
A l'époque où la Gaule fut partagée
en quatre provinces ou éparchies, la Lyonnaise d'Auguste conserva dans ses
limites les provinces de Sens et de langres.
Sous Constantin le Grand de 323 à
350 furent crées les diocèses, administrés par des vicaires. Un préfet avait
plusieurs vicariats sous ses ordres.
Dans les notices des provinces et
des cités de la Gaule, dressées à la fin de IVe siècle ou dans les
premières années du Ve, la cité diocèse de Langres est comprise dans la première Lyonnaise ; les
cités diocèses de sens et de Troyes sont dans la quatrième Lyonnaise ou
province sénonaise.
Le christianisme se répandit en
Gaule par les vallées du Rhône et de la Saône - Saint Benigne, l'apôtre de
Dijon, se rendit à la fin du IIe siècle dans le pays des Lingons, et
c'est à lui que l'on fait remonter l'origine de l'église de Langres dont le
premier évêque fut Saint Sénateur.
Lorsque Troyes fut devenu le siège
d'un évêché, vers 340, le diocèse de Langres conserva ses limites, le cours de
l'Armance, de Chaource à Coutaoult, et les affluents de cette rivière, au
nombre desquels se trouve le ru de Bernon. Ce fait identifie l'origine de la
contrée et de l'église de Bernon, dans le domaine du diocèse de Langres, lequel
fut formé de l'ancien pays des Lingons tel qu'il existait dans la Gaule
ancienne avec ses limites et l'étendue de sa circonscription administrative.
C'est pendant L'Empire Romain que les provinces conquises virent
construire ces belles et grandes routes de pénétration dont les vestiges
subsistent encore (comme celle allant de Troyes à Tonnerre par Pomblin et qui
passait à l'extrémité est du finage de Bernon, dans le voisinage de l'ancien oppidum dont les traces sont encore
visibles) et, qu'enfin, régna sur le monde "cette paix romaine" qui,
par le travail et le commerce, semait autour d'elle tranquillité et prospérité.
Malgré tout, l'Empire tomba sous les
invasions des Teutons, Huns, Asiatiques, peuples que les Romains appelaient
Barbares et contre la force numérique desquels ils ne trouvaient pas assez de
soldats à opposer, invasions qui amenèrent l'établissement de nouveaux peuples
dans la Gaule.
Parmi ces peuples, les Burgondes
(les Bourguignons), venus du nord de la Germanie, furent les premiers qui se
fixèrent sur le territoire jadis occupé par les Eduens et les Mandubiens, où
ils formèrent le royaume de Bourgogne lequel engloba aussi le pays des Lignons.
L'historien Orose représente les
Burgondes comme des gens tranquilles, aux moeurs douces, vivant en bonne
entente avec les Gaulois. Les Burgondes s'empressèrent d'ailleurs d'abandonner
leurs religion et traditions nationales pour adopter la religion chrétienne ;
mais ils suivirent la secte arienne. Nous allons voir que c'est ce qui fit le
succès des Francs;
Les Huns ne firent que passer,
détruisant tout ce qui restait de la civilisation romaine. La fameuse bataille
de Mauriac en 451, aujourd'hui Méry-sur-Seine, près de Troyes, chassa les Huns
de la Gaule et fut, dans le pays, la dernière victoire remportée au nom de
l'Empire romain, mais en réalité au profit des nations germaniques qui l'avait
déjà conquise.
Vers la fin de Ve siècle
parurent les Francs. L'armée de Clovis comprenait un grand nombre de romains
et, dès les fils de Clotaire, la population tout entière fut appelée à remplir
le service militaire, sans distinction de race. Ce qui fut le succès de Clovis,
ce ne furent pas ses victoires, mais sa conversion au catholicisme. Il reçut le
baptême de la main de l'évêque de Reins; Rémi, le jour de Noël 496. Ce jour il
eut l'alliance des évêques dans la Gaule entière contre les Wisigoths et les
Burgondes et son règne fut assuré.
L'empire romain avait vécu quatre
siècle pendant lesquels le village de Bernon s'était développé et avait acquis
une certaine importance, si l'on en juge par les vestiges qui restent de cette
époque. Les cercueils gallo-romains, notamment, dont nous avons déjà parlé,
attestent la présence et l'inhumation dans le pays de personnages comme il ne
s'en rencontrera plus dans la suite.
Tous les auteurs de l'antiquité s'accordent à reconnaître aux Celtes la
bravoure, le goût de l'éloquence, l'esprit d'initiative (Hurtius 73 ; Strabon
IV, 4, etc...). Mais d'autre part, ils s'accordent aussi sur leur jactance et
leur présomption. Téméraires à braver le péril, les revers les abattaient.
César signale (IV, 5) comme "infirmité des Gaulois", leur mobilité et
leur goût du changement. Ils aiment, dit-il, les combats et les discours
captieux. César nous dit aussi qu'ils adoraient Apollon, Jupiter, Minerve, mais
surtout Mercure. Malheureusement il ne nous dit pas l'équivalent gaulois du nom
latin.
Oppidum
gaulois. - Pendant la période de
l'indépendance gauloise, le pays des Lingons faisait partie de la confédération
gaélique et confinait aux puissantes peuplades des Séquanes et des Sénons. Vers
la fin de cette époque, la Gaule était divisée à propos d'une misérable
question de suprématie, par les luttes fratricides et d'autant plus insensées
qu'elles préparaient le triomphe des armes romaines. Les Eduens en guerres
continuelles avec les Arvernes et les Séquanes (les habitants de L'Auvergne et
de la Franche-Conté), leur rivaux en prépondérance, durent non seulement garder
leur frontière mais aussi occuper militairement tous les points importants de
leur vaste territoire, et ceux de leurs clients. Les coteaux de la vallée de
Bernon placés aux avant-postes des collines de Tonnerre, et gardiens de la
vallée chemin ordinaire des invasions des Sénons, devinrent forcément des
points stratégiques et l'un d'eux fut le siège d'un de ces oppida, grossiers mais formidables, qui hérissaient alors le sol
gaulois. Cet oppidum faisait partie
d'une ligne continue d'ouvrages de défenses qui dominait d'après un plan si
bien étudié de nos jours, les crêtes des montagnes, l'entrée des vallées, les
voies et les rivières.
Autour de Bernon tous les points
culminants en étaient surmontés : à l'ouest Ervy ; au sud Lignières et
Tonnerre, qui, probablement rayonnait vers Langres, chef lieu de la cité des
Lingons. C'est alors, quand l'ennemi menaçait les frontières, que s'allumaient
sur toutes les crêtes ces signaux de feu dont la tradition est arrivée jusqu'à
nous et que les populations menacées accouraient des versants et des plaines
chercher abri sur ces sommets peu accessibles et fortifiés.
Castrum
romain. - Après la chute définitive de la nationalité gauloise, Rome eut à
consolider sa conquête qu'ébranlaient encore quelques convulsions désespérées.
Imprimant aux ouvrages précaires des vaincus un caractère de stabilité plus en
rapport avec l'avenir probable de sa domination, elle couvrit alors le sol
conquis d'un réseau de forts, de tours, etc... Les vainqueurs, acceptant
naturellement tous les points indiqués par la stratégie gauloise, ceux surtout
où des travaux de castramétation leur épargnaient du temps et des fatigues, ne
durent pas négliger l'oppidum
dominant la vallée de Bernon, lequel fut transformé par eux en un castrum,
puisque leur mot castrum s'appliquait à tous les ouvrages de défense.1
Si l'on examine objectivement en
détail et avec attention, l'emplacement de cet ancien camp retranché dans la
plaine sablonneuse de Vauguedaines, entre les chemins de Turgy et Vallières,
derrière l'ancien château fort, jusqu'à l'ancienne voie romaine qui la traverse
au nord-est ; puis l'importance des fossés et tranchées pratiqués aux
alentours, dont les vestiges subsistent encore, et qui ont été en partie
indiqués précédemment, dans une note concernant la description des ravins où
ils furent pratiqués, on est forcé d'admettre qu'il y à eu là, sur cet
emplacement, un camp retranché important, établi selon la méthode romaine,
succédant probablement à un poste militaire gaulois de moindre importance.
Il est donc acquis pour nous que cet
emplacement fut, avant et pendant l'occupation romaine, le siège d'un camp
retranché gallo-romain, témoin probable de plus d'une sanglante péripétie.
Epaves
archéologiques. - Notre opinion n'est pas une simple hypothèse. L'existence
d'un oppidum gaulois au-dessus de
Bernon, à peu près démontrée par une induction qui nous semble logique, se
trouve confirmée par les traces encore visibles et incontestables du séjour des
gaulois dans notre vallée. Ainsi que nous l'avons dit déjà, des cercueils de pierre,
grossièrement taillés, de l'époque gallo-romaine, ont été trouvés dans un champ
dépendant de l'ancien domaine féodal, aboutissant à l'ouest de la rue du Four,
non loin de l'église, et l'on voit encore aujourd'hui, les fondations d'un pan
de mur de clôture de l'ancienne nécropole où furent trouvés ces sarcophages
ainsi que des débris d'une ancienne construction attenant à cette nécropole,
que l'on suppose avoir été un temple païen qui fut dans la suite transformé en
monastère catholique. Les fragments de ce mur et de cet ancien édifice sont
considérés comme étant de l'époque gauloise. L'ancienneté de ces vestiges se
trouve confirmée par la canalisation du nouveau lit du ru de Bernon passant par
cet endroit, canalisation qui parait avoir été faite postérieurement à l'époque
romaine, vers le XIIe siècle.
De même il existe, encore
aujourd'hui, des tronçons d'une ancienne voie romaine, dont nous avons déjà
parlé, allant de Troyes à Tonnerre par Pomblin, et traversant l'extrémité du
finage de Bernon, dans le voisinage de l'ancien camp romain, section E du cadastre,
1re feuille et limitant le finage, 2 me feuille.
Il existe également des
substructions importantes de l'ancien castrum,
transformé dans la suite en château fort sous le règne féodal, substructions
qui, en raison de leur composition et de leur solidité, paraissent appartenir à
l'époque gallo-romaine.
Ainsi, pour nous résumer, ce sont
les Gaulois qui, en occupant militairement les premiers l'un des sommets de nos
coteaux, lui donnèrent sont individualité ; c'est aux Gaulois, seuls, que notre
vallée et par conséquent notre village, doivent ce nom de Bernon auquel le
conquérants romains ne firent qu'ajouter, pour ainsi dire, la livrée latine.
1 - Le camp romain de Bernon
affecte la forme rectangulaire, d'une longueur de 700 mètres et large de 400
mètres environ. Il est couvert, au sud, par la vallée et le ru de Bernon, au
nord par la vallée et le ru de la Chameure entre Vanlay, Turgy et Vallières et
sur les autres côtés par des ouvrages de défense consistant en fossés,
tranchées et radoutes pratiqués dans tous les ravins et chemins situés sur le
versant de droite de la vallée de Bernon. Ce camp était desservi par la voie
romaine qui passait à l'extrémité nord-est de son emplacement ; il était
entouré de bois, excepté du côté de la vallée sud.
Le plan est celui des camps
permanents de l'époque d'Adrien. Il semble être resté debout jusqu'au ravage
des Vandales au Ve siècle, époque à laquelle il fut détruit. Plus
tard vers le XIIe siècle, les seigneurs de Bernon firent élever sur
le même emplacement le château fort
nobiliaire qui remplaça l'ancien castrum
gallo-romain.
CHAPITRE II
Epoque franque
_________
Les limites des divisions politiques
sont difficiles à saisir du Ve au Xe siècle en raison de
leur mobilité, si l'on s'en tient au pagi,
c'est-à-dire aux régions naturelles dont il est parlé dans les textes
mérovingiens et carolingiens.
L'ancienne Gaule, le France, alors
ruinée, peu habitée, ne trouve plus de noms que dans l'orientation. L'Est
devient l'Austrasie et l'Ouest, ou le non Est, la Neustrie. En ce temps là il
n'y avait pas de frontière. Un siècle ne s'était pas écoulé depuis la fameuse
bataille de Mauriac (451) que Clovis, roi des Francs, s'emparait de la plus
grande partie de la Gaule. lors du partage des possessions de leur père par les
fils de Clovis, la Champagne fut attribuée au royaume d'Austrasie ; mais
Langres fit partie du royaume mérovingien des Burgondes.
Adrevsal, moine de Fleury, dit dans
son livre des miracles de Saint Benoist, que Tornodorus (Tonnerre) était un
château de la Bourgogne sur la rivière d'Armançon "Castrum Burgondiae
partibus in latere montis supra fluvium Hermensionum". Il ajoute que ce
lieu avait donné son nom au pays voisin1 "adjacenti regioni
nomen indidit mamque à Tornodoro vicina regio Tornodorensis dicitur".
Enfin, il dit que ce pays était gouverné alors par un vicomte et que ce vicomte
ou lieutenant devait être sous le comte de Langres dont Tonnerre dépendait.
Pendant cette longue période qui
date de la conquête de la Gaule romaine par les Germains et qui finit à
l'avènement de la seconde race de nos rois, Bernon reste plongé dans la plus
profonde obscurité, son existence n'est révélée par aucun document. Néanmoins
il reste acquis pour nous que vicus
gallo-romains, trouvé à l'origine, subsista pendant tout le moyen âge ; il
faudrait donc voir dans ce village un ancien municipe romain respecté par la
conquête germanique.
.Du Cange nous apprend qu'on
entendait par vicus un "castrum sine munitione murorum". C'est-à-dire une réunion d'habitations non
entourée de murs, et il ajoute : "vici
suni castelli et pagi qui nulla dignitate civitatis honorantur sed vulgari
hominum cœtu incoluntur et civitatibus attribuuntur".
D'après cette interprétation, Bernon
était alors un village sans fortification, médiocrement habité, comme tous les
villages d'ailleurs, et dépendant d'une ville importante.2
Le domaine des deux premières races
de nos rois se composait de l'ancien fief impérial romain tel que l'avaient
possédé les empereurs dans la partie de la Gaule qui forme aujourd'hui notre
pays. La conquête avait eu cela de particulier qu'elle avait assuré aux
souverains de la Rome antique la propriété exclusive des territoires arrachés à
l'ennemi. Cette propriété était la consécration du droit de conquête,
c'est-à-dire la négation du droit légitime aux prises avec la force et vaincu
1-
Le pagus de Tonnerre touchait aux pagi de Sens et de Troyes. D'après
quelques auteurs ses limites extrêmes au nord étaient Chassy, Bagneux, etc...
2-
Par le mot civitas on entendait
alors, non seulement l'enceinte et le territoire de la ville à laquelle il
s'appliquait mais encore les pagi qui
en dépendaient. Le nom de pagus qui
signifiait primitivement une montagne, une colline abrupte, où les populations
rurales pouvaient se retirer en temps de guerre, fut donné par la suite au
village et enfin au district ou canton dont ce village était le chef-lieu.
Ainsi le pagus Tornodorensis (le
Tonnerrois) avait à cette époque pour chef-lieu le vicus Tornodoro (Tonnerre) dont Bernon dépendait ; et Tonnerre
dépendait lui-même de la cité diocèse et comté de Langres.
par
elle. Mais, dans ces territoires, pour que le droit fût effectif et réel, il
fallait établir des représentants ou officiers du pouvoir impérial, les uns
investis temporairement et sous condition de révocabilité à volonté, les
autres, revêtus de charges à vie héréditaire et transmissibles1. Ces
derniers s'étaient trouvés substitués à l'autorité impériale elle-même ; ils en
exerçaient toutes les prérogatives ; en un mot, ils étaient les maîtres, les
seigneurs des pays dans lesquels ils étaient établis. Les charges ou les droits
dont ils avaient été investis, étaient le plus souvent la récompense de
services militaires rendus à l'état ; c'était aussi le résultat de faveurs
particulières ou d'usurpations accomplies dans les temps de l'Empire pendant
l'anarchie qui s'était introduite dans l'administration de la Gaule à l'époque
de l'invasion des Barbares.
Possesseurs de vastes domaines, dont
ils ignoraient souvent les ressources et l'importance, les premiers
Mérovingiens et plus tard les Carolingiens en démembrèrent des territoires
entiers pour en doter de fidèles serviteurs ou des établissements religieux.
Comme nous l'avons vu pour le diocèse de Langres, qui était devenu propriétaire
de l'ancien pagus des Lingons dont
furent formés, plus tard, avec une partie, les comtés de Tonnerre et de
Bar-sur-Seine, ainsi que la baronnie d'Ervy dès le temps de Charlemagne. Ces
concessions de bénéfices se multiplièrent à l'excès sous les noms d'alleux, de
comtés, de vicomtés, de seigneuries, sous le règne des Carolingiens, surtout à
partir du capitulaire de Kiersy-sur-Oise, en l'an 877, qui consacra
l'établissement du régime féodal et fit passer dans le domaine légal une
révolution territoriale qui était accomplie, en fait, depuis longtemps.
Dès le XIe siècle on voit
apparaître dans les actes publics les possesseurs des seigneuries rurales, mais
on doit tenir pour certain que leur possession ne datait pas seulement de cette
époque ; ils devaient être les successeurs et descendants des chefs militaires
établis dans le pays au moment des invasions des Barbares. Ces premiers
possesseurs sont ce qu'on est convenu d'appeler les seigneurs autochtones dont
la descendance masculine ne s'est pas perpétuée, en général, au delà des XIVe
et XVe siècles.
Le document le plus ancien à notre
connaissance où Bernon se trouve mentionné ne remonte qu'à 1097 ou 1099. C'est
la notification par laquelle l'évêque de Langres confirme à l'abbaye des
Bénédictins de Molesme la fondation faite par Guy d'Aspu et ses frères, des
droits d'alleu qu'il avait sur le territoire du Tornodorensis (le Tonnerrois),
sur le château lui-même de Tornodoro (Tonnerre), sur le village qui est appelé
Bernonus (Bernon). Non seulement il concède aux moines de Molesme ses droits de
propriété sur les trois lieux ci-dessus dénommés, à savoir, partout où il possédait
quelque chose, les serfs, les servantes, les terres cultivées ou incultes qui
se trouvaient dans ses vignes et ses forêts, mais encore le moulin près de
Grisy.
En marge d'une écriture du XVIIe siècle on lit : en
1097 ou 1099. Cartulaire de Molesme, tome 1 fol. XX, 2°.
Cet acte écrit en latin, est
reproduit in extenso dans le tome II
du cartulaire de l'Yonne de Monsieur Quantin (pages 26-27). L'original en est
conservé aux archives de la Côte-d'Or. C'est d'après ce document que MM.
Boutiot et Socard ont compris le village; appelé Bernonus, c'est-à-dire Bernon,
dans leur dictionnaire géographique de l'Aube. Quoiqu'il n'en soit pas fait
mention dans l'acte, il est certain que Bernon possédait à l'époque un poste
militaire et de télégraphie optique par
1-
Ces charges comportaient la prise de possession du tiers des terres en général,
dans chaque village. De ce tiers furent formés et se sont perpétués dans la
suite au moyen âge, ces domaines féodaux sont nous avons un exemple dans celui
de Bernon, dépendant du domaine de Tanlay, ces vassaux jouissaient des droits
utiles de ces seigneuries sous la seule obligation de redevances purement
honorifiques.
feux,
qui correspondait avec le château de Tonnerre dont il dépendait 1 .
Les droits d'alleu, c'est-à-dire de
propriété, concédés par Guy d'Aspu et ses frères à l'abbaye de
Molesme-sur-Bernon, ne comportaient sans doute que le domaine féodal dont les
possesseurs devaient être les successeurs et descendants des chefs militaires
établis dans le pays au moment des invasions Barbares 2. C'est une
seigneurie rurale qui dépendait de la terre de Tanlay, dans le domaine
ecclésiastique de Saint-Vinnemer, et qui provenait originairement du diocèse et
comté de Langres.
Cette terre mouvait en fief, foi et
hommages, par sous-inféodation, d'abord des comtes de Tonnerre et de
Bar-sur-Seine, ensuite des comtes de Champagne, mais sous la suzeraineté des
évêques comtes de Langres.
Précis
historique de la cité diocèse et comté de Langres.
- Langres fut en état de république
jusqu'au ravage des Vandales, c'est-à-dire jusqu'en 407 de la naissance de
Notre Seigneur Jésus-Christ. Cette ville, prise par les Barbares, est demeurée
dans la Bourgogne et sous le gouvernement des Hendins ; ensuite des rois de
France et de Bourgogne alternaient. Sous le règne de Louis VII, l'évêque de
Langres, Gauthier de Bourgogne, craignant de tomber sous la dépendance des
comtes de Champagne, donna son comté au roi de France (1179). En retour Louis
VII donna à l'évêque le titre de Duc et, comme les évêque de Langres étaient
déjà admis, depuis le règne de Louis VI, parmi les pairs ecclésiastiques, le
duché prairie de Langres se trouva ainsi constitué. Depuis se temps, et même
déjà auparavant depuis le règne de Louis VI, la ville de Langres a toujours été
la régie du gouvernement de Champagne et de Brie jusqu'à son extinction.
(Histoire
du diocèse de Langres, par l'abbé Demangin.)
Dans le même ouvrage se trouve la note
ci-après :
Tome I, page 288, note pour l'abbaye de
Molesme.
Les annales eccl. en font mention en
796.
Le
nom de cette abbaye est dérivé par corruption d'un monastère assez illustre qui
fut appelé autrefois Melundenfa, d'un village situé dans une petite vallée
appelée Melundis. Il a même retenu ce nom après qu'il fut transféré auprès du
village de Saint-Martin, distant d'environ trois lieues de la première
position, à une lieue au-dessus de Tonnerre sur la rivière d'Armançon d'où il
fut appelé quelquefois le monastère de Saint-Martin, quelquefois sous
l'invocation de Saint-Pierre. Ce fut Etienne Nicey, abbé de Tonnerre, qui fit
cette translation après que le monastère fut détruit dans la guerre des
Anglais. Il était dans sa position d'origine, de l'ordre de Saint-Benoist sous
le nom et la protection de la Sainte-Vierge :
Il
est donc situé dans la Bourgogne
à une lieue environ de la ville de Tonnerre, dans le domaine de Saint-Vinnemer
auprès de Tanlay.
Nota
- En dernier lieu le monastère de Molesme se trouvait établi à trois lieues de
Châtillon-sur-Seine sur la rivière Leigne.
1
- D'après une vieille tradition qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours, on dit
que les dames de Bernon correspondaient autrefois par feux de joie, avec les
dames de Lignières, ce qui fait supposer que cette coutume provenait des
anciens usages de télégraphie optique par feux pour correspondances militaires
ou autres par les anciens seigneurs avec leurs vassaux.
Cette coutume existe encore à
Bernon pour les feux du carnaval que les jeunes gens vont brûler sur la hauteur
du chemin de Vanlay, non loin de l'ancien château fort.
2
- Cette donation paraît avoir donné naissance et servi de base au nouvel état
de choses qui s'est produit à Bernon, à partir de la même époque, savoir : la
fondation au XIIe siècle par le diocèse de Langres d'une église
paroissiale et l'établissement d'un
monastère et d'une seigneurie avec le fief du vidame ; ce fief et la
seigneurie rurale qui demeurait attachée étant d'origine féodale, suivit le
sort de la terre de Tanlay dont il dépendait, dans le domaine ecclésiastique de
Saint-Vinnemer.
CHAPITRE III
Epoque féodale
La durée de la société féodale va du
Xe au XIVe siècle. Jusqu'au XIe siècle elle se
forme et se constitue ; au XIe siècle elle est toute puissante. Dans
les XIIe et XIIIe siècles, malgré les progrès de la
royauté et l'émancipation de la bourgeoisie, son principe est toujours la base
de la société.
Système féodale. - On sait que la
féodalité, née au moyen âge de la conquête de l'Empire romain par les Barbares,
consistait dans une espèce de confédération de seigneurs investis chacun d'un
pouvoir souverain dans leurs propres domaines, mais inégaux en puissance, subordonnés
entre eux et ayant des droits et des devoirs réciproques ; on sait encore que
l'établissement de la féodalité fut la conséquence de concessions territoriales
(bénéfices ou fiefs), faites par un chef à ses compagnons d'armes ; que
primitivement ces bénéfices étaient amovibles ou viagers, mais que, par suite
de l'usurpation des seigneurs, ils devinrent à peu près tous héréditaires vers
la fin du IXe siècle ; on sait enfin que la création des communes,
en fournissant aux rois un auxiliaire contre la puissance des grands vassaux,
les croisades en forçant les seigneurs d'engager à la couronne les domaines
qu'ils purent racheter, portèrent les premiers coups au système féodal, que
Louis XI et Richelieu en firent crouler l'édifice, mais qu'il fallut la tempête
révolutionnaire pour en engloutir jusqu'aux derniers débris.
Féodalité ecclésiastique. - Le
clergé, autrefois défenseur de la cité, en était bien souvent devenu le comte
par usurpation traditionnelle ou par expresse concession des rois qui avait
réuni, comme à Langres, l'autorité politique à l'autorité spirituelle, ce qui
faisait de l'évêque le suzerain de tous les seigneurs da son diocèse. Outre ses
dîmes, l'Eglise possédait, grâce aux donations des fidèles, des biens immenses.
Cette féodalité ecclésiastique fut si nombreuse, su puissante, qu'en France
elle posséda, au moyen âge, plus du cinquième de toutes les terres.
Les évêques de Langres possesseurs
de biens considérables et dans l'impossibilité de les garder par eux-mêmes, les
donnaient soit en fief, soit à titre de précarium, à quelques puissants
seigneurs du voisinage qui les transmettaient souvent aux autres, par
sous-inféodation.
C'est ainsi que nous voyons, dès les
Xe et XIe siècle, se former et se détacher du domaine de
l'église de Langres, les comtés de Tonnerre et de Bar-sur-Seine ainsi que la
baronnie d'Ervy. Dès le temps de Hugues Capet (996), Milon était comte de
Tonnerre et de Bar-sur-Seine et seigneur également de la baronnie d'Ervy.
Le fief de Bernon, qui dépendait
originairement du comté de Tonnerre, passa, vers la même époque, dans celui de
Bar-sur-Seine.
Le comté de Bar-sur-Seine fut crée
l'an 1002 ou 1003. Il eut pour premiers possesseurs les sœurs Erviss et Azeka.
Ces deux sœurs, qui étaient fort riches, se sont mariées avec les enfants de
Milon II, comte de Tonnerre, tous deux comtes de Tonnerre après leur père et
comtes de Bar-sur-Seine par alliance. Le comté de Bar-sur-Seine ne fut pas
longtemps réuni à celui de Tonnerre. Comme anciens possesseurs des deux comtés
réunis, on cite Milon III, Milon IV et Hugues Renaud.
Voulant remédier aux abus
qu'occasionnait la réunion des deux comtés, nous voyons Milon IV, comte de
Tonnerre et de Bar-sur-Seine, réunir la plupart des seigneurs desdits comtés
pour s'entendre avec eux sur le droit de parcours ; il veut en faciliter
l'usage, il veut en régler les limites.
A la suite de cette réunion est
publiée une nouvelle charte (1198), applicable aux laboureurs, vignerons,
moissonneurs et faucheurs de tout le pays entre Tonnerre et Bar-sur-Seine.
Chacun d'eux peut aller à ses champs et en revenir avec bestiaux, charrues et
autres instruments aratoires sans être arrêté ou enlevé.
Cette charte consacra la
délimitation des deux contrés, et Bernon fut compris dans le conté de
Bar-sur-Seine.
Les descendants de Milon jouirent de
ce conté pendant deux cents ans. Thibaut 1er, roi de Navarre et
comte Champagne l'acheta aux héritiers, et sa maison l'a conservé depuis
environ 1230 jusqu'à son extinction.
Les anciens seigneurs de
Bar-sur-Seine avaient un territoire universel, toute l'étendue du fief leur
appartenait en plein domaine. Là, comme ailleurs, le seigneur s'était procuré
des vassaux en sous-inféodant certaines parties de ce domaine à d'autres
seigneurs, et des tributaires en concédant le surplus à des serfs ou colons.1
La coutume de Troyes, pays resté,
comme on disait alors, dans sa liberté naturelle, était allodiale, c'est-à-dire
que les héritages y étaient réputés francs de toutes charges, à moins de
preuves du contraire. La coutume de Bar-sur-Seine, enclave de la Champagne,
devait l'être également. Les rapports du seigneur avec ses colons étaient
réglés par une coutume.
Le chapitre de Langres était curé
primitif du comté de Bar-sur-Seine. A se titre il levait les dîmes sur les
grains, vins, légumes, navette, une gerbe sur vingt et sur vingt muids, un de
la mère goutte. Il en était de même sur le chanvre et la laine. C'était un
droit concédé par Manassès, évêque de Langres.
Le territoire de la seigneurie de
Bar-sur-Seine comprenait un grand nombre de fiefs, les uns nobles, avec haute,
moyenne et basse justice, les autres roturiers. Cette terre mouvait en fief,
foi et hommage directement du comte de Champagne à cause de sa grosse tour de
Troyes, mais sous la suzeraineté des évêques de Langres.2
Nous en trouvons la preuve dans un
extrait de l'aveu du dénombrement, du duché de Langres fourni à Louis XI par
Guy Bernard, évêque, le 23 novembre 1464, dont voici un résumé :
"Nous reconnaissons à cause de
nos évêché, duché, prairie, être homme lige de notre roi, duquel nous tenons ce
qui suit : la ville et cité de Langres, etc... Le comte de Champagne tient de
nous, les châteaux, villes et seigneuries de Chaumont, Bar-sur-Seine, etc. Le
comte de Tonnerre tient de nous ledit comté chastel et ville de Tonnerre et les
fiefs qui en dépendent."
Par le traité d'Arras, en 1482, le
comté de Bar-sur Seine passe à la Bourgogne ; mais Louis XI, peu après, fait
rentrer le comté dans la domaine de la couronne. Dans un ordonnance (1465), il
est dit que : "la châtellenie d'Ervy, au diocèse de Langres, comprenait, à
savoir : Chassy, Veuloy, Seronte, Lignières, Vernon (Bernon), Aureuil, Verilay,
Targy, Avemoyne, lesquelles paroisses sont des aides et recettes
d'Auxerre". Dans une autre ordonnance du 14 octobre 1468, portant
règlement pour l'imposition foraine des marchandises qui passent en Bourgogne,
Louis XI, sur la réclamation du duc de Bourgogne (Charles le Téméraire), son
neveu, fit rentrer la paroisse de Bernon dans la chastellenie de Bar-
1-
Dans un dénombrement des fiefs qui existaient dans le ressort en 1378, on voit
figurer ceux ci-après : 9, Bernon, 31, Lignières, etc.
2
- On voit dans plusieurs actes d'évêque de Langres faire abandon de ses droits
d'homme vivant et mourant, notamment sur des labourages situés à Marolles,
Coussegrey, Bernon, acquis par les Ursulines de Tonnerre.
sur
Seine "comme étant fief, guet, garde et retrait dudit Bar-sur-Seine 1
".Mais peu après, le même roi fit rentrer ladite paroisse de Bernon dans
la chastellenie d'Ervy.
Après la mort de Charles le
Téméraire, le 5 janvier 1477, sous les murs de Nancy, Louis XI s'empara du
duché de Bourgogne, comme d'un fief masculin, malgré les protestations de sa
nièce, et sa "chère filleule" Marie de Bourgogne, fille unique et
seule héritière du duc. En ce prince s'éteignit la seconde maison de Bourgogne
et le duché fut réuni à la couronne de France en 1478.
Cette réunion du duché de Bourgogne
à la couronne, après celle du comté de Champagne en 1361, mit fin à la rivalité
des gouvernements des deux provinces. Cela fut un bienfait pour Bernon qui,
confinant à ces deux provinces et ayant appartenu tantôt à l'une tantôt à
l'autre, fut longtemps exposé aux incursions et aux luttes des deux
gouvernements rivaux, notamment durant la ligue. Cette rivalité ne cessa
d'ailleurs complètement qu'après l'abolition du régime féodal en 1789 par la
perte de leur autonomie et leur confusion dans le domaine de l'état.
Comté de Champagne. - Nous avons vu
que Thibaut 1er, roi de Navarre et comte de Champagne, acheta le
comté de Bar-sur-Seine aux héritiers de Milon et que sa maison l'a conservé
depuis environ l'an 1230 jusqu'à son extinction. A partir de cette époque,
l'histoire de Bernon est liée si intimement à celle du comté de Champagne,
qu'il n'est plus possible de l'en séparer. A cette époque, en effet, Bernon
n'est plus une simple bourgade ayant son existence indépendante ; il est le
siège d'une seigneurie qualifiée de fief et d'un château fort, mouvant en fief,
foi et hommage, directement des comtes de Champagne, mais sous la suzeraineté
des évêques de Langres.
Or, le comté de Champagne, comme
tous les grands fiefs, se composait de deux sortes de biens territoriaux : les
pays d'obédience ou allodiaux, et les fiefs. Etaient pays d'obédience, les
localités ou le comte possédait la seigneurie immédiate ; étaient fiefs, celles
dont il n'avait que la suzeraineté. Les pays d'obédience étaient divisés en
chastellenies et prévostés qui avaient chacun, pour chef-lieu, le principal
centre de la population de la circonscription, où se trouvait une forteresse
qualifiée de château, à l'exclusion des autres forteresses du même district
(comme celle de Bernon, par exemple qui, quoique qualifiée de château, n'a
jamais été le siège d'une chastellenie, ni prévosté).
Les comtes de Champagne, à partir de
Henri 1er, firent tenir par écrit l'état des vassaux qui leur
rendaient hommage. Le premier volume était connu sous le nom de Fœoda Campania, ou premier livre des
vassaux de Champagne. Il pouvait se diviser en six registres correspondant au
règne de Henri 1er
(1152-1201) ; 2,3,4,5 à la régence de Blanche de Navarre (1201-1222) ; 6
à Thibaut IV (1222-1253). Dans le cinquième registre figurait cette mention :
f° 368, de Castro Theodorici. Le
second volume était le registre des hommages faits à Thibaut V (1256-1270).
Sous ce titre : Hœc sunt castella jurabilia et reddibilia et domus similer, dont
voici le sens, sinon la traduction exacte : "les châteaux et maisons
fortes doivent être évacués par ceux qui les occupent et toute leur famille,
quand cela plaira au maître", figurait au deuxième registre, fœoda Campania, f° 85 v°, la paragraphe
suivant :
1
- Toute ville ou bourg sans fortifications était à la merci des écorcheurs,
éperviers de Bourgogne, contadours, fendeurs, lansquenets, malandrins,
paillers, routiers, reîtres, rustres, soudoyers, tard-venus, tondeurs, etc...
On est effrayé en parcourant cette liste de bandits qui vivaient d'audace et de
pillages.
C'est
sans doute pour se défendre contre ces bandits, qu'on a vu à Bernon s'élever et
se former autour et aux abords du village principalement à l'entrée des chemins
de pénétration, ces fossés et ces murs renforcés ça et là, quelques vestiges, par
exemple à l'entrée du chemin de Vanlay, l'enclos de la Bombarde ; et tous ces
enclos de murs en pierres sèches autour des jardins, formant des redoutes et
moyens de défense contre un coup de main des ennemis du dehors.
200-XXXIII : Domus Theodorici de Bernon, c'est-à-dire maison forte de Théodore
de Bernon.
Outre les registres Fœoda Campania il existe plusieurs actes
où il est fait mention des anciens tenanciers du fief de Bernon comme vassaux
des comtes de Champagne. Voici l'énumération de quelques-uns de ces documents :
1 - Liste des conseillers d'Henri 1er
et indiquant les années extrêmes où ils paraissent dans les actes des comtes de
Champagne.
1152-1178
- Gauterius (Gauthier), de Bernon figure sur cette liste comme vassal du comte,
quoique n'étant pas indiqué dans le rôle des vassaux.
2
- Du 4 avril 1176 au 23 avril 1177, Henri 1er constate des
donations faites à l'abbaye de Larivour par Hugues le Sec et par Guiard de
Bernon (cartulaire de l'abbaye de Larivour, archives de l'Aube, manuscrit du
XIIIe siècle).
3 - 1223 - Thibaut IV déclare que
Guillaume de Bernon épousant Luquette, fille d'Eudes de Florence, lui a donné
en douaire la moitié de ses biens ; que, de plus, Guillaume a assigné à
Luquette, en garantie de 200 livres reçues d'elle en mariage, la moitié de la
terre qu'il tient de Thibaut.
4 - Sous le règne de Thibaut V, en
mai 1258 (sous le gouvernement de Champagne, l'année commençait à Pâques qui,
cette année-là, était le 24 mars), par devant Jean, doyen de Saint-Vinnemer,
Hugues vicomte de Lignières, et Marie sa femme, cèdent à Th... leur maison de
Sivrey ; ils reçoivent en échange le château de Bernon et les dépendances, à la
réserve du bois dit de la Haie de Cropet.
5 - En copies du XVIe
siècle , les actes suivants :
À
- 1243. Charte de Guillaume, doyen de Tonnerre, et Jacques doyen de
Saint-Vinnemer, faisant savoir qu'Etienne de Bernon, damoiseau, a approuvé la
donation faite par son frère Miles, curé de Percey, aux religieuses de
Saint-Michel de Tonnerre, de tout ce qu'il possédait dans les bois de Sorberay
(bois de Lignières). Il y ajoute, pour son compte, une rente, deux setiers de
grain, l'un de froment et l'autre d'orge, à prendre sur ses tierces.
Á
- 1234 - Charte de Barthélemy, abbé de Saint-Michel de Tonnerre relatant la
vente faite par la dame de Bernon et ses deux fils Etienne et Miles, de tout ce
qu'ils possédaient sur le territoire de Valéria (Vallières), excepté le serf
Alerme et sa famille, à Eudes de Vanlaîo (Vanlay) et à sa femme Luquette, leur
vie durant ; après leur décès, l'objet de la vente reviendrait à ses anciens
possesseurs.
Les comtes de Champagne sont devenus
rois de Navarre. La succession tombant en quenouille, est par mariage, réunie à
la couronne de France (1361), mais de fait elle est démembrée entre les
prétendants de diverses époques à cette succession. Aussi au XIIIe
et au XIVe siècle, voit-on se former et se détacher du domaine, le
comté de Brienne, les villes et chastellenie de ... enfin celle d'Ervy qui
comprenait à cette époque la paroisse de Bernon dans son ressort.
La baronnie d'Ervy était une
mouvance dont les comtes de Champagne étaient propriétaires depuis
l'établissement des comtés héréditaires. Ce fut Thibaut III qui en affranchit
les habitants en l'an 1199.
Dans une charte de donation, en date
de 1134, il est question de la présence de Milon d'Ervy (Milo de Herviaco).
Dans une autre sans date, vraie ou fausse, dont l'abbaye de Quincy conservait
une copie vidimée de 1312, Henri, comte de Champagne, loue et confirme une
aumône faite aux religieux de Quincy, du fief du Breuil près d'Ervy, par Milo
de Herviaco du consentement de Milon son fils 1
La baronnie d'Ervy était plus
souvent réunie à la seigneurie de Saint-Florentin dont elle suivait le sort.
Détachée par Henri II du bailliage de Troyes pour relever directement de
Parlement de Paris, comme chambre des Pairs, elle fut confirmée dans ce privilège
en 1665.
Les autorités qui étendaient leur
juridiction sur les affaires civiles et judiciaires avant 1789, se composaient
d'un bailli, d'un lieutenant de bailli, d'un procureur fiscal et d'un
garde-sel.
En 1704, le fief féodal de Bernon
passe avec la terre de Tanlay, entre
les mains de Jean Thevenin, premier secrétaire du roi. Depuis cette époque,
nous voyons les chefs héréditaires de la maison de Tanlay, prendre le titre de
seigneurs de Bernon, Vanlay, Avreuil, etc.
En dehors des noms ci-dessus
indiqués dans les actes et les registres des vassaux de Champagne, la
généalogie des seigneurs de Bernon nous est inconnue.
L'hôtel de la seigneurie,
remarquable par sa construction comportant un étage et par ses fenêtres
étroites et grillagées, était une habitation particulière du représentant du
seigneur. Cet hôtel, situé à droite dans le haut de la Grande-Rue, à l'entrée
de la rue de l'Eperon, subsiste encore aujourd'hui. Quoique n'étant pas
qualifiée de château, il y a apparence que cet hôtel, dont la construction
paraît très ancienne et dans le style des anciens manoirs féodaux, pourrait
bien être l'ancienne maison forte qui est mentionnée dans les actes et les
registres des vassaux de Champagne.
Après la suppression des bailliages
dans la fameuse nuit du 4 août 1789, qui consacra l'abolition du régime féodal,
un tribunal de district fut établi à Ervy, comprenant Bernon dans son ressort ;
mais ce district ayant été supprimé par la constitution de l'an III, Bernon fut
désigné pour être dans le ressort du tribunal de Bar-sur-Seine et la justice de
paix de Chaource.
Pendant cette longue période de
durée du régime féodal et de royauté absolue de droit divin, le village de
Bernon s'est développé peu à peu sous l'influence des progrès de la
civilisation et des méthodes de culture importés par les représentants de
l'Eglise et des seigneurs. Des maisons de maîtres avec portes cochères cintrées
et des pigeonniers, entourées de vastes enclos de pierres sèches s'y élevèrent
; des travaux importants y furent exécutés pour l'amélioration de la culture et
l'assainissement du village. Avec la culture de la vigne, introduite par les
moines du monastère qui subsista à côté de l'église, le bien-être de la
population s'accrut et s'y développa régulièrement, à la satisfaction générale.
D'après la note ci-dessous rapportée, on verra que, depuis la Révolution, la
population est restée stationnaire.2
1
- L'abbaye de Quincy, de l'ordre de Citeaux et de la filiation de Pontigny, est
née en 1133 du diocèse de Langres. Elle fut fondée près de Tanlay dans le
doyenné de Saint-Vinnemer à deux lieues de Tonnerre par Elie de Rougemont,
Roger d'Ancy et Bernard d'Amboise.
Dans un recueil d'aveux et
dénombrement rendu au roi de France à cause de la châtellenie de Bar-sur-Seine
(manuscrit de la fin du XIVe siècle, archives de l'Aube), les sept
communes du district de Ervy, à savoir : Bernon, Avreuil, Coussegrey,
Lignières, Marolles, Prusy et Vanlay ont toutes en regard (charte de l'abbaye
de Quincy). Pourquoi cela ? C'est peut-être que cette abbaye était devenue
propriétaire des biens et droits de celle de Molesme dans la région ; ou
qu'elle fut autorisée à y fonder divers monastères, notamment celui de Bernon,
pour les sept communes susmentionnées.
2-
Compte de l'élection de Saint-Florentin. C 2131, liasse 20 pièces papier
(1757-1789). - Dépouillement de la minute du rôle des tailles de la communauté
de Bernon, élection de Saint-Florentin pour l'année 1789. M. de Tanlay,
seigneur du lieu ; 3 privilégiés ; 94 feux ; taille réelle : 904 livres, 5 sous
; taille personnelle : 419 livres, 15 sous ; impositions accessoires : 639
livres, 15 sous, 8 deniers ; capitation : 750 livres; total : 2621 livres, 15
sous, 8 deniers. Procès verbal d'arpentage du territoire. Contenance : 4 246
arpents, mesure du lieu ; 3 509 arpents, 9 perches 1/4, mesure du roi. Devis de
la construction du presbytère, rôle d'une imposition levée pour subvenir à la
dépense.
C 2132 - Plan 1 pièce papier
(1784). Plan du territoire de la commune de Bernon (collection des inventaires
sommaires des archives départementales de l'Aube antérieurs à 1790).
Nota - Pièce
complémentaire. Copie du cartulaire général de l'Yonne, II, p. 26 de M. Quantin
(1860).
XXV.
Donation par Guy d'Aspu et ses frères à l'abbaye de Molesme.
Guy
d'Aspu, touché de Dieu, vint à Molesme et prit l'habit religieux. Il donna
alors au monastère l'alleu qu'il avait dans le Tonnerrois, savoir : dans le
château, à Grisy, Bernon, etc. Son fils, sa fille et ses frères ont ratifié ce
don. Longtemps après, ses deux frères étant venus le voir au monastère
donnèrent aux moines leur droit sur le moulin de Grisy.
Château féodal. - Partout au XIe
siècle sur les hauteurs les plus escarpées se dressent les manoirs féodaux, aux
murailles de six pieds d'épaisseurs, flanqués de grosses tours à larges
créneaux, entourés de fossés ; au centre s'élève le beffroy ; c'est là que la
cloche d'alarme appelle au château les serfs à l'approche de l'ennemi, et qu'au
point du jour le cornet de la guette ou sentinelle leur dit qu'il est l'heure
de commencer leurs travaux ; au pied du château, le village et les misérables
cabanes des paysans.
Nous avons dit notre pensée touchant
les édifices qui s'élevèrent
primitivement sur le coteau nord-est au-dessus de Bernon ; nous
avons cherché à établir qu'à l'oppidum gaulois succéda un castrum, ou camp retranché gallo-romain.
Il nous reste à parler du château fort qui succéda ensuite à la construction
romaine. Quelle est l'origine de cet édifice ? Fut-il élevé au XIe
siècle par la féodalité organisée ? Est-il antérieur ? Et à quelle époque
fut-il détruit ? Ni la tradition ni l'histoire n'en ont conservé le souvenir.
Tout ce que nous savons c'est que le château existait déjà en 1139, date à
laquelle nous le trouvons mentionné dans une charte de Thibaut II, comte de
Troyes. D'ailleurs, par combien de phases cet édifice n'a-t-il pas dû passer ;
que de modifications n'a-t-il pas subies avant d'arriver à sa dernière forme,
que nous allons décrire :
Cette forme nous semble être celle
des constructions militaires du XIe siècle, de ces petites
forteresses féodales si nombreuses à cette époque, occupées par un capitaine ou
gouverneur et munies seulement d'une garnison suffisante pour les défendre
contre un coup de main.
La position de cette forteresse, ses
dispositions intérieures, son exiguïté surtout, éloignent toute idée d'une
habitation seigneuriale. Quelques rudes et grossières qu'aient été les moeurs
des châtelains de cette époque, si ennemis de leur bien-être qu'on les suppose,
nous doutons fort que les seigneurs de Bernon, presque tous possesseurs de
biens considérables, aient consenti à s'exiler dans cette construction
étrangère à toute idée d'art et de commodité et qui fut moins une habitation
qu'un repaire.
Cette forteresse se composait d'un
corps de logis rectangulaire flanqué à chaque angle, d'une tour ronde de cinq à
six mètres de diamètre ; une cinquième tour de même grandeur et formant donjon
occupait la face du rectangle qui regarde le nord-est.
Les parties habitées de la
construction devaient se trouver dans les deux côtés du rectangle regardant le
sud-est et le nord-ouest. L'entrée du château était tournée vers le sud,
c'est-à-dire vers le village. C'est là que s'élevait la porte munie d'un
pont-levis et couronnée de petits mâchicoulis, ce pont-levis s'abattait sur une
maçonnerie encore visible.
Le rectangle de la construction
principale circonscrivait une tour centrale où s'ouvrait les jours des
souterrains. Ces souterrains, qu'on retrouve dans toutes les forteresses de
cette époque et qui servaient habituellement de prison, soit aux hommes de guerre,
soit aux serfs, étaient d'une hauteur de deux mètres environ. L'un d'eux
communiquait par une sorte de plan incliné à une cave de petite
dimension
qui était probablement une citerne1, laquelle ne servait sans doute
qu'en cas de siège, une fontaine qui ne tarit jamais existant dans le
voisinage, mais hors de l'enceinte.
Au pied d'une des tours d'angle
s'ouvrait une poterne ou fausse porte destinée à sortir' à l'improviste par les
fossés. Dans le grand espace vide au milieu, se trouvait ce que l'on appelait à
cette époque la basse-cour qui renfermait les communs du château et servait de
refuge aux populations voisines en cas d'attaque.
Quoique en partie comblés par les
atterrissements, ces fossés ont encore aujourd'hui une vingtaine de mètres de
largeur sur trois à quatre de profondeur ; au nord-est et au nord-ouest, côtés
les plus accessibles, se remarque deux lignes de courtines se prolongeant
jusqu'au chemin de Turgy et qui était probablement reliées par des tours ou
bastions. Ces courtines manquent à l'est et au sud, le château se trouvant
suffisamment protégé de ces côtés par le fossé des Plarciaux et l'escarpement
du coteau 2.
En 1434, Henri du Bernon commandait
au château de Bar-sur-Seine. Depuis cette époque on ne retrouve plus aucun
représentant de cette famille.
Dans sa chronique de la Pucelle
d'Orléans, M. Ed. Vallet dit que : " d'Auxerre allant sur Troyes, le roi
Charles VII se dirigea sur Saint-Florentin dont les habitants lui firent
aussitôt obéissance, 3 juillet 1429 ; et que deux autres petites places Brienon
et Saint-Phal se rendirent également. N'y aurait-il pas là une confusion ? Ne
serait-ce pas plutôt Brenon, comme on disait alors, c'est-à-dire Bernon, dont
la place aurait fait sa soumission avec celle de Saint-Phal? De Saint-Florentin
à Saint-Phal la marche de l'armée royale par Bernon s'expliquerait mieux que
par Brienon.
Quoi qu'il en soit il paraît à peu
près certain qu'un détachement de l'armée royale commandé par Jeanne d'Arc
passe par Bernon en se dirigeant sur Saint-Phal, puisqu'il n'est pas question
du passage de l'armée royale par Ervy dont la forteresse subsistait encore en
cette époque.
A quelle époque remonte la
destruction de la forteresse de Bernon ? Cette question ne pourra être fixée
que par la découverte de documents non encore publiés. Jusque-là nous ne
pouvons faire que des conjectures par analogie de ce qui eut lieu pour les autres
forteresses dans la contrée. Or, la ville de Bar-sur-Seine a été plusieurs fois
dévastée par les Anglais, au XIVe siècle. Incendiée en 1359, elle
fut de nouveau saccagée en 1478. Le château s'Ervy a été détruit par les
Bourguignons en 1443 et celui de Bar-sur-Seine en 1478. De l'ensemble de ces
faits il est permis de supposer que l'ancien château fort de Bernon a lui-même
été détruit à l'une ou l'autre de ces deux dernières dates, au cours du XVe
siècle sous le règne de Louis XI.
1
- L'erreur ou la malignité de quelques historiens leur ont fait dire que ces
citernes, que l'on trouve dans tous les anciens châteaux forts, étaient des
culs de basses fosses où l'on jetait certains prisonniers soumis à la torture
et qu'on laissait périr là dans les plus atroces souffrances. Mais le bon sens
et la bonne foi ont depuis longtemps fait justice de ces erreurs. Ces sortes de
citernes qu'on qualifiait d'oubliettes, servaient, sans aucun doute, de
coffres-forts où l'on enfermait les choses précieuses et principalement les
fonds ou espèces provenant des contributions et redevances reçues des
particuliers, afin de les mettre en sûreté et à l'abri d'un coup de main ;
comme il est d'usage encore aujourd'hui de renfermer ces sortes d'objets dans des
coffres-forts, par crainte des voleurs. C'est par erreur également qu'on a dit
que les anciens fossés étaient remplis d'eau, au moins à l'approche de
l'ennemi, ce qui était matériellement impossible.
2
- La forteresse franque était construite d'après les errements romains. Quand
elle était placée sur une élévation, son assiette était toujours choisie sur
une colline en forme de promontoire, projeté à la rencontre de deux vallées et
son enceinte se trouvait naturellement tracée par la configuration de plateau
qui couronnait l'éminence. Cette forteresse consistait en une enceinte
palissadée, entourée de fossés, au milieu de laquelle s'élevait un tertre,
factice ou non, un donjon qui en était la défense principale.
(L.
Château. - Histoire de l'architecture en France)
Nous retrouvons là tous les
caractères de notre forteresse qui, primitivement sans doute, fut moins un
château qu'un donjon.
M. de Boulainvilliers fait
remonter la construction de tant de châteaux qui son en Normandie (son pays) au
temps des guerres des Normands (VIIIe siècle). Comme ils paraissent
aussi en Champagne à la même époque on peut penser de même que plusieurs des
châteaux de la Champagne avaient été" bâtis pour se défendre contre les
Normands. Le nombre en augmenta sans doute dans le temps du fief de Champagne,
parce que chaque seigneur voulait se défendre contre son voisin, mais il
fallait la permission du comte pour en bâtir et les lois féodales l'en rendait
le maître lorsqu'il voulait s'en servir dans ses guerres personnelles.
Le château de Bernon était
construit sur le même modèle et d'après les mêmes errements quant à sa
situation et à ses moyens de défense que celui d'Arques-la-Bataille, en
Normandie près de Dieppe dont les ruines, encore très bien conservées dans tous
les détails, sont encore visibles.
Aymon, le moine (livre V) dit
que les Normands étant entrés en Bourgogne, le duc Richard, évêque de Langres,
s'avança contre eux jusqu'au territoire de Tonnerre où il les battit si bien
qu'après en avoir tué un grand nombre, il contraignit les autres à prendre la
fuite.
Ceci permet de supposer que le
château de Bernon avait peut-être été construit en effet pour se défendre
contre les Normands vers le VIIIe, ou le IXe siècle ;
mais cette supposition n'est appuyée d'aucune preuve
Outre les châteaux forts, comme
celui de Bernon, on voyait encore dans les campagnes une sorte d'édifices non
moins féodaux et plus puissants. C'étaient les nombreuses abbayes ou monastères
que la piété et la munificence de nos souverains avaient fondés ou enrichis.
Les évêques et les abbés étaient à cette époque de véritables seigneurs qui,
pour la plupart, revendiquaient avec hauteur les prérogatives et les
préséances. Souvent ils s'arrogeaient le droit de faire fortifier les villes et
les châteaux, de rendre la justice en leur propre nom. Près de l'évêché, de
l'abbaye ou du monastère se voyait ordinairement le fief ou l'hôtel du vidame
autrement appelé advocatus, c'était
le titre qu'on donnait au seigneur chargé par les suzerains ecclésiastiques
d'agir dans leurs affaires temporelles. Les seigneurs du domaine de Bernon
étaient de cette origine.
Après la destruction de l'ancien
château fort au-dessus de Bernon, la seigneurie des anciens tenanciers de ce
fief, passa aux possesseurs du domaine féodal ecclésiastique de Tanlay, soit
par expresse concession, soit par usurpation traditionnelle. L'emplacement de
l'ancien château fort, depuis longtemps en ruines, appartient aujourd'hui à
divers particuliers, sans aucun droit ni prérogative d'origine féodale, ce qui
prouve la non survivance des droits féodaux attachés à cet ancien domaine et
ses dépendances, depuis la destruction du château-fort. Au contraire des droits
et prérogatives attachés au domaine féodal de Tanlay subsistèrent jusqu'en
1789.
Avant la révolution de 1789 la
plupart des demeures des habitants, couvertes de chaume, n'avaient que deux
pièces dont une chambre à coucher et une chambre à four à vaste cheminée sous
le manteau de laquelle se groupait toute la famille pendant les soirées
d'hiver. Au logis principal s'ajoutaient une étable, une grange, un hangar, un
cellier, un puits, s'élevant dans des cours particulières, ou communs, dont la
jouissance donnait lieu souvent à de longues et fréquentes contestations.
Quelques pièces de terre ou jardin complétaient les dépendances de ces
habitations primitives, presque toutes malsaines et mal éclairées.
Mais d'autres maisons couvertes de
tuiles se distinguaient de ces chétives demeures. Quelques-unes avaient un
étage ce qui, pour le temps, leur donnait grand air, surtout quand les pignons
étaient surmontés de girouettes à l'instar des manoirs féodaux ; d'autres
avaient un pigeonnier ; c'était la résidence d'été de bourgeois, gros
propriétaires de labourages, d'Ervy, de Tonnerre ou de Troyes, de petits nobles
à particule, qui venaient en villégiature à Bernon, vivre de la vie champêtre
et s'y livrer par les mains de leurs vignerons, valets et domestiques, à la
culture de quelques arpents de vigne et de terre.
Le territoire était moins morcelé
qu'à notre époque où la plupart des labourages, appartenant aux bourgeois ont
été vendus par parcelles aux habitants, chaque paysan possédant plus ou moins ;
de sorte qu'à l'aide des anciens terriers de Bernon on pourrait rétablir assez
facilement la généalogie des familles de ce pays aux XVIe et XVIIIe siècle,
comme les Bourgoin, les Bessonat, les Chaulet, les Collin, les Fauche, les
Jamin, les Mathieu, les Mérillot, les Robin des Places, les Thaureau, les
Thumereau, les Thiney, les Brot, les Chériot, les Cordier, les Genet, les
Roger, les Jacquinet, les Hugots, etc...
Tous étaient adonnés à la culture du
sol, et à divers métiers manuels tels que maçons, charpentiers, menuisiers,
bourreliers, maréchaux ferrants, tisserands, couvreurs, bûcherons, tonneliers.
L'hôtel du représentant de la
seigneurie (ou manoir féodal) et l'église, sont les seuls monuments à Bernon
qui subsistent des temps passés, ainsi que trois croix monumentales érigées
l'une dans le haut de la Grande-Rue, une autre à l'intersection des chemins
d'Ervy au lieu-dit la éré de la
Croix et la troisième au chemin de Vanlay, à l'intersection des chemins de
Vanlay, Turgy et Vallières.
Avant la révolution il n'y avait à
Bernon ni école communale, ni mairie ; l'état civil des personnes était inscrit
sur les registres de la paroisse par le curé, à qui incombait aussi la charge
de l'instruction et de l'éducation ainsi que l'administration des secours aux
pauvres et aux affligés.
CHAPITRE IV
Epoque moderne.
I - Evolution des idées
politiques et sociales
Lorsque César fit la conquête de la
Gaule de l'an 58 à l'an 52 avant Jésus-Christ, "il ne trouva, dit-il, que
deux sortes d'hommes qui fussent honorés : les Druides et les Nobles. Pour la
multitude, son sort ne vaut guère mieux que celui des esclaves, car, accablés
de dettes et de vexations de la part des grands, la plupart des hommes libres
se livrent en servitude".
Au VIe siècle, il y avait
trois sociétés, en Gaule ; les Gallo-Romains, les Barbares et l'Eglise ; il y
en a trois encore au XIe siècle, les seigneurs, les clercs et les
serfs : les deux premières riches, puissantes et actives, la dernière opprimée
et misérable. Comme la France monarchique la France féodale a eu sa révolution
: l'avènement des communes au XIe siècle. Le grand fait social de ce
siècle a été la disparition des trois classes : serfs, demi-libres, libres, qui
existaient au IXe siècle , et leur unité dans l'assujettissement au
seigneur. Durant les XIIe siècle et le XIIIe siècle,
malgré les progrès de la royauté et l'émancipation de la bourgeoisie, le
principe féodal est toujours la base de la société ; ensuite ce fut l'avènement
d'un Etat souverain, gouverné d'abord par une monarchie héréditaire de droit
divin ; puis par les différents régimes qui se sont succédé depuis la
Révolution de 1789, et que l'histoire désigne sous la rubrique de gouvernements
constitutionnels, savoir :
Révolution. 1re
République du 21 septembre 1792 à 1804 (12 ans, de l'an I à l'an XII).
Révolution de 1830, royauté de
Louis-Philippe de 1830 à 1848 (18 ans).
Révolution de 1848, 2e
République, 1848 à 1851 (3 ans).
Napoléon III, rétablissement de
l'Empire, 2 décembre 1851 au 4 septembre 1870 (19 ans).
3e République, 4
septembre 1870.
Le territoire compris dans le
département de l'Aube ressortissait avant 1789, dans son entier au parlement de
la Cour des comptes à la Cour des aides et à la Cour des monnaies de Paris.
Depuis la Révolution le département de l'Aube appartient à la sixième région
militaire dont le quartier général est à Châlons-sur-Marne. Il ressort de la
Cour d'appel de Paris, de l'académie de Dijon, à la septième région de
gendarmerie (Châlons), de la cinquième inspection des Ponts et chaussées, - à
la huitième minéralogique de Troyes (division du Nord-Est), - à la région
agricole du Nord-Est.
II - Tablettes paroissiales.
1°
- De l'origine des paroisses et de la formation des doyennés. -
D'abord il faut admettre pour principe que toutes les paroisses d'un diocèse
quelconque sont filles de la cathédrales, parce qu'il n'y en a pas une seule
qui s'en soit sortie. Ceci est aisé à comprendre : avant qu'il eût des
paroisses à la campagne, la cathédrale était la seule église du diocèse, la
seule où l'on célébrait les saints mystères, la seule, qui, dans les premiers
temps, avait des fonds baptismaux ; et l'on en sent parfaitement la raison :
c'est qu'alors nul autre que l'évêque n'avait le droit de prêcher l'évangile ;
nul autre n'avait le droit d'administrer le sacrement de Pénitence; d'où il
résulte que c'est la cathédrale que toutes chair du diocèse sont sorties, du
moins médiatement, et en laquelle seule elles gardent l'unité et la
subordination.
La religion catholique s'étend
insensiblement répandue de la ville épiscopale dans la campagne et les fidèles
ne pouvant, à cause de l'éloignement, porter leurs enfants baptiser en l'église
cathédrale, l'évêque se vit dans l'obligation d'ériger en divers cantons des
églises baptismales. On nommait plébes, doyennés, ou archiprêtrés, ces
premières églises de la campagne où était un baptistère au cause du peuple qui
venait de tout le canton pour le baptême.
La paroisse de Bernon, fondée au XIIe
siècle, dépendait avant 1789 de l'ancien diocèse de Langres, province ou
archevêché de Lyon, doyenné de Saint-Vinnemer. Elle fut réunie au diocèse de
Troyes par le Concordat (15 juillet 1801).
Par décret rendu en synode diocésain
le 3 octobre 1873, le diocèse de Troyes fut divisé en deux archidiaconnés :
Troyes et Arcis-sur-Aube. Le premier est formé des archiprêtrés de Troyes et de
Bar-sur-Seine.
Les chefs-lieux de canton ecclésiastiques
sont occupés par des doyens et sont ainsi devenus des doyennés. Le doyenné de
Chaource comprend vingt-deux paroisses parmi lesquelles celle de Bernon et deux
binages, Chaserey et Vallières.
Le diocèse de Troyes reconnut
toujours Sens pour sa métropole.
2°
- Eglise
paroissiale de Bernon. -L'église, sous le vocable de Saint Winebaud 1,
est du XIIe siècle, mais elle a été remaniée au XVIe.
Bien que d'une architecture sobre et sévère, l'ensemble et les détails
s'harmonisent assez bien avec l'imposante majesté du culte catholique.
En voici la description d'après le
répertoire archéologique du département de l'Aube :
" Plan en forme de croix
latine. Longueur 27 mètres ; largeur, sanctuaire 6m.60 ; nef 7m.60 ; hauteur
abside et transept 6m. 70 ; sanctuaire terminé à l'orient par un mur droit :
voûte du XVIe siècle, transept, une travée ; les bras du XVIe
siècle".
1
- Saint-Winebaud (Winebaldus) naquit à Nogent-sur-Seine de parents aisés et
d'une famille romaine, vers le milieu du VIe . Ils eurent un soin
particulier de son éducation et le firent instruire dans les sciences où il fit
de grands progrès. Dès sa plus tendre jeunesse il s'aperçut des dangers du
monde et il résolut de s'en séparer en embrassant l'état ecclésiastique. Il
mourut le 6 avril 620 environ. Ses reliques sont conservées à l'abbaye de
Saint-Loup. L'église de Troyes en fait mémoire le 6 avril et, prieuré qui porte
son nom à Saint-Martin de Boussenay doyenné de Marigny, sa fête se célèbre le
second dimanche après Pâques pour faciliter le concours des fidèles.
(M.
Courtalon Delaistre. Histoire du diocèse de Troyes)
Nota
- A Bernon, la fête patronale de Saint-Winebaud se célèbre à l'église le 29 ami
; elle est remise au dimanche suivant pour les réjouissances foraines.
L'érection d'une église dans un
village était autrefois considérée comme un signe d'émancipation des habitants
et la preuve de leur affranchissement, la religion chrétienne exaltant la
personnalité et l'âme individuelles.
Flèche en bois, couverte d'ardoises,
refermant deux cloches ; la flèche surmonte l'édifice au centre des bras de
croix. La bénédiction des cloches a eu lieu le 19 octobre 1862, par
Jean-Baptiste Cros, curé de la paroisse. La parrain fut M. Lorin-Hippolyte
Textoris, membre du conseil général de l'Yonne ; et la marraine Mme
Adélaïde Eugénie Bessonnat, épouse de M. Viardot de Chesley, membre du conseil
d'arrondissement de Bar-sur-Seine.
Les bras de croix renferment chacun
une chapelle. Celle à droite est dédiée à la Sainte Vierge ; celle de gauche à
Sainte Anne. Dans cette dernière se trouve un très beau confessionnal en chêne
de style gothique et dans la nef la chaire, en chêne et du même style, l'un et
l'autre sculptés par Lagoguez, enfant du pays.
L'église est ornée d'un chemin de
croix de la maison Poussielgue de Paris, et des statues anciennes en plâtre
parmi lesquelles on remarque : du côté de l'épître : la statue de la Vierge
Marie tenant l'Enfant Jésus dans ses bras, et du côté de l'Evangile celle de
Saint Winebaud, patron de la paroisse. Au-dessus du maître autel, orné de deux
colonnes et d'un chapiteau de style corinthien, se trouve un château peint à
l'huile qui paraît être une copie ou imitation du célèbre tableau du Guide,
représentant Saint Dominique recevant le rosaire des mains de la Sainte Vierge.
En haut on lit : A.I.I.q. 9552.
L'église ne possède aucune relique,
sinon une parcelle, de la vraie croix, relique dont l'origine est garantie par
le sceau épiscopal.
Sur le registre des délibérations de
la paroisse on remarque une approbation :
Vu par nous Anselme Marie Forget,
docteur en Sorbonne, vicaire général et official de Langres, archidiacre du
Tonnerrois ; le compte précédent nous l'avons alloué, sauf avis, pour, dans
notre prochaine visite, le compte de la Confrérie de la Sainte Vierge, et avons
reçu pour notre droit la somme de 25 sols de la part de la fabrique.
"Fait
à Bernon, le 27 mai 1?77, étant dans le cours de notre visite.
Signé
: Archidiacre Forget, vicaire."
3°
- Obituaire - Voici d'après les registres de la paroisse la liste
des dons1 faits à la Fabrique depuis la révolution de 1789 :
1800 - Mme Joly de
Chaource, Luce Robin des Places, décédée en 1800 laisse une rente annuelle de
100 francs.
1851 - Melle
Marie-Magdelaine Bailly a laissé à l'église de Bernon, son pays natal, 1 000
francs pour réparer la chapelle des fonds baptismaux et pour l'achat d'une
coquille en marbre.
1865 - Mme Edme Thiney,
épouse de M. Antoine Boulard a légué à l'église de Bernon la rente perpétuelle
d'un capital de 2 000 francs.
1874 - Mme de Senevoy donne une
rente annuelle et perpétuelle de 125 francs à charge de faire célébrer à
perpétuité, cinquante messes basses pour le repos de l'âme de M. Armand-Jules,
marquis de Senevoy, son époux décédé.
1
- Les dons faits à la Fabrique de l'église de Bernon avant la révolution de
1789 ont été saisis et dispersés à cette époque par les représentants du
gouvernement révolutionnaire. Ceux faits depuis (et ci-dessus désignés), ont
été de même confisqué et détournés de leur destination par les représentants du
régime républicain actuel, en exécution de la loi de séparation des Eglises de
l'Etat, du 9 décembre 1905.
1876 - 15 octobre. Acceptation
provisoire par la fabrique d'un legs fait par feu Thomas-Antoine Boulard, par
testament en date du 8 mai 1876, devant M. Oudin, notaire à Vanlay. M. Boulard
donne ses biens recueillis dans la succession de Edme Thiney, sa première
épouse à charge de faire célébrer à perpétuité vingt-quatre messes basses et un
service solennel, la veille de la fête patronale de Bernon.
M. le marquis de Tanlay a donné le
12 juin 1851 un ostensoir en argent avec croissant de vermeil sortant des
ateliers de Vandeuvre.
Mme la marquise de Senevoy, un
ornement blanc, un ornement noir et une aube;
Mlle Lasquier de Troyes,
une magnifique croix avec Christ sortant des ateliers de Vandeuvre.
M. Textoris de Cheney, vases et
fleurs artificielles.
Les habitants de Bernon, avec le
concours de quelques personnes étrangères à la paroisse, un chemin de croix de
la maison Poussielgue de Paris.
Mme Alexis Chaulet de
Troyes une magnifique nappe d'autel et plusieurs vases de fleurs artificielles.
M. Jules Thiney un exemplaire
manuscrit d'une notice géographique, historique et statistique sur Bernon, par
lui-même, avec la collaboration de Mme Jules Thiney, née Euphrasie Moreau, sa
femme pour la recherche des documents concernant cette notice.
4°
- Presbytère
- Le presbytère bâti proche de
l'église, à l'Est, est renfermé dans un bel enclos de mur de pierres sèches du
pays, d'une contenance d'environ 30 ares, et complanté d'arbres fruitiers de
toutes sortes et de charmilles de noisetiers.
La première pierre en a été posée
par M. Nicolas-Antoine Mézières, prêtre doyen, curé de Bernon, le 4 novembre
1757 (extrait d'un ancien registre de la paroisse).
Le même registre mentionne également
ce qui suit : la grange, écurie et une cave bâties aux frais du sieur Mézières
(1757). M. Mézières a fait transplanter les arbres du verger et espalier du
jardin et il a fait défricher le verger et le jardin. Priez Dieu pour le repos
de son âme.
A la fin du registre de 1759, on
trouve cette note " la maison curiale de ce lieu de Bernon, soussigné, le
6 novembre 1759 et habitée le dix dud. mois de la mesme année.
"Signé : Mézières, doyen, curé
de Bernon.
" Soli Deo honor et gloria et
gratiarum actio lausque perpetua. Amen".
Depuis
le loi du 9 décembre 1905 qui a aboli le concordat du 15 juillet 1801, et
prononcé la séparation des Eglises et de l'Etat, la maison curiale de Bernon,
ayant fait retour à la commune, a été affectée par la municipalité à
l'installation d'une école laïque enfantine et au logement de l'institutrice.1
1
- A l'occasion de l'inauguration de cette école enfantine le maire de Bernon a
prononcé un discours de circonstance qui a été diversement apprécié, et son
auteur ridiculisé par certains journaux du département. Le patriotisme exige,
en effet, que, si l'on ne pense pas comme les ancêtres, on respecte au moins ce
qu'ils ont fait et pensé.
"L'histoire des peuples, a
dit Lamennais, est écrite dans leurs monuments, non l'histoire fugitive des
accidents de leur existence, mais l'histoire plus profonde de leur vie morale
et intellectuelle, de leur nature de leur conception générale des choses."
Depuis cette époque la cure est
demeurée vacante et la paroisse est devenue un binage desservi, soit par le
curé de Coussegrey, soit par ceux de Vanlay ou de Lignières.
5°-
Curés
de Bernon. - ( prêtres et desservants.)
1686. Nicolas Antrand, décédé le 19
mai 1706.
1706. Roger-Henri Regnault de
Vougrey, curé doyen de Bernon à partir du 17 juin 1706, le curé titulaire M. de
Vougrey, n'étant que diacre, ne pouvait, quoique curé, remplir les fonctions de
prêtre. Il prend donc pour le remplacer un religieux cordelier de Tanlay, qui
signe les actes au nom de P. Foy. Ensuite un prêtre, bachelier en théologie
d'Avignon, du nom d'Olier, lequel fut quelques mois plus tard attaché à la
chapelle de Saint Nicolas de Montbard. En 1707, au mois de mai, M. de Vougrey,
ordonné prêtre, paraît comme curé et en remplit toutes les fonctions. En 1728,
l'évêque de Langres visite Bernon ; il en est fait mention sur le registre de
la paroisse et quelques mois après M. de Vougrey ajoute à sa signature le titre
de doyen. M. de Vougrey meurt le 13 novembre 1755. M. Le Noir, jusqu'ici
vicaire de Bernon, prend le titre de desservant à partir de janvier 1755,
quoique M. de Vougrey ne fût pas encore décédé. Au mois d'Août de la même année
apparaît le nom de Poussetet, chapelain de Coussegrey, desservant Bernon,
jusqu'à 1756.
1756 - Nicolas Mézières, curé doyen,
jusqu'en 1763, ayant pour vicaire depuis février, Jean-Claude Mathieu.
1763 - Jacques Labille, curé,
jusqu'au 12 avril 1791 époque de son décès. Il a pour vicaire Jacques Bertenet.
1784 - Bidot, prêtre, vicaire de
Vallières, desservant Bernon.
En 1785-1786, M. Labille, malade ou
en congé, confie le service paroissial à différents prêtres :
MM.
Vibert, Etienne Lepateuy, Luis Morisot, Jeoffroy. En 1788, il a pour vicaire
Robin, à partir du 12 août 1791 jusqu'en 1792, le service paroissial est fait
soit par M. Baudin, chapelain de Chesley, soit par M. Bonnemain, curé de
Vanlay, ou M. Deschamps, curé de Lignières;
1792 - M. Vincent,
Edmée-Philippe-Laurent, décédé le 25 février 1850, à l'âge de 91 ans. Dès 1848
la paroisse est administrée par M. Maistre, curé de Coussegrey au nom de M.
Laurent.
1850 - Jacques du Mesnil.
1858 - Etienne, plus tard chamoine
titulaire de Troyes.
1860 - Jean-Baptiste Cros.
1866 - En octobre, M. Saulnier curé
de Coussegrey, dessert Bernon.
1868 - Ponard, plus tard curé de
Torvilliers.
1872 - Saulnier est bineur de
Bernon.
1873 - Rincent, décédé en 1878.
1878 - Jaillant, plus tard doyen
d'Auxon.
1879 - Saulnier, curé de Coussegrey
dessert Bernon.
1880 - Achille Paillé, plus tard
curé de Braux.
1881 - Henri Rémy, plus tard curé de
Cussangy.
1891 - 19 juillet, Paul-Marie
Honnet, plus tard curé de Saint-Phal .
Nota : C'est M. l'abbé Honnet qui nous a fourni les
renseignements ci-dessus, concernant les archives de la paroisse ; qu'il nous
soit permis de l'en remercier ici.
6° - Le cimetière - L'ancien
cimetière, établi autour de l'église depuis sa fondation, a été désaffecté en
1899 et remplacé par un nouveau dans un terrain acquis par la commune et enclos
de murs la même année, situé au bas de la côte des Ouches ; on y accède par une
belle allée de marronniers longeant l'enclos de l'église et du presbytère. Ce
nouveau cimetière, renferme des places réservées pour les concessions
trentenaires, au prix de 10 francs le mètre et d'autres pour les concessions à
perpétuité, au prix de 100 francs le mètre, ou 200 francs la place.
III . Tablettes municipales.
1°
De l'origine et de la formation des
communes.
Aujourd'hui, on entend abusivement
par commune, une division territoriale remplaçant les anciennes paroisses. La
commune, autrefois, était une chose essentiellement morale et non une
circonscription géographique. C'était un lien politique accepté par un certain
nombre d'hommes ayant des intérêts communs, un pacte constituant un droit.
Le droit de commune consistait alors
dans la faculté accordée aux habitants d'une ville ou d'un bourg de se
gouverner eux-mêmes, au lieu d'être gouvernés par les officiers du seigneur
laïque ou ecclésiastique.
C'est vers le XIe siècle
qu'éclata en France le grand mouvement communal, "cette révolution, mère
des révolution modernes". Bien des opinions ont été mises sur l'origine de
ces institutions : pour les uns elles ne sont que le produit d'insurrections
contre les iniquités féodales ; pour les autres, elles sont des révolutions,
c'est-à-dire des créations sociales toutes nouvelles en dehors de tous
précédents et prenant leurs sources dans les grandes doctrines prêchées par
l'Evangile ; pour d'autres enfin, la commune est un fait fatal, nécessaire, une
sorte d'association à laquelle aboutissent naturellement tous les affranchis.
Quoi qu'il en soit de ces diverses opinions, il n'en est pas moins établi
aujourd'hui que le gouvernement municipal en France ne date pas du moyen âge ;
que les Romains, vainqueurs de la Gaule, appliquèrent à ses plus petites
bourgades cette forme d'administration qu'ils pratiquaient eux-mêmes de temps
immémorial et que l'octroi d'une commune à une ville n'était souvent que la
reconnaissance d'un droit et d'un état de choses préexistants.
Ceci posé, l'hypothèse de
l'existence d'une commune à Bernon au XIVe siècle au moins, s'appuierait sur ce fait
qu'à cette époque le village de Bernon était fortifié et qu'une enceinte de
murailles ou de fossés supposait presque toujours un droit de commune1.
Mais l'on sait que presque toutes les libertés communales périrent vers la fin
du XIVe siècle sous les coups de la réaction féodale qui eut pour
prétexte les terribles excès de la Jacquerie.
Les événements qui se passèrent dans
le sein de la commune de Bernon, eux du moins relatés dans ces archives avant
1789, offrent peu d'intérêt.
Le 14 décembre 1789, l'Assemblée
constituante supprima les municipalités des villes, bourgs, paroisses et
communautés pour les remplacer par les municipalités formées sur un nouveau
mode, unique pour toute la France. L'administration municipale, élue par les
habitants de la commune, fut divisée en deux partie : l'une d'elle constitua un
corps délibérant sous le nom de conseil général de la commune, l'autre composée
d'un certain nombre de membres du corps municipal, sous la présidence d'un maire, fut chargé de l'autorité exécutive.
La
1
- Un mur d'enceinte n'était, en effet, que l'unité de défense appliquée à des
intérêts multiples qui s'étaient combinés et unis.
constitution
de l'an III modifia cet état de choses et n'accorda une administration
municipale qu'aux villes ayant plus de cinq mille âmes. Bernon, dont la
population était bien inférieure à ce chiffre, fut englobé dans une
administration cantonale1. Chacune des communes du canton élisait un
agent principal. Ces agents réunis composaient la municipalité auprès de
laquelle était placé un commissaire du Directoire. Ce système ne dura que
jusqu'à la loi du 28 pluviôse an VIII ( 17 février 1800 ), qui rendit à la
commune son individualité en confiant son administration à un maire, assisté
d'un conseil municipal, mais en supprimant le principe d'élection. Ce principe
a été régie par la loi du 5 avril 1884.
Nous avons peu de chose à ajouter
pour compléter l'histoire de notre commune. Les troubles politiques et les
changements de gouvernements que la France a subis depuis la révolution de 1789
y ont peu de retentissement, la population naturellement calme et peu
accessible à l'effervescence a toujours accepté sans troubles ni protestations
les différents gouvernements qui se sont succédé en France jusqu'à nos jours.
2°
- Travaux contemporains (mairie, école, etc...).
Depuis sa formation en 1790, la
commune de Bernon s'est imposé de lourds sacrifices pour améliorer ses services
municipaux et sa voirie. Son budget s'équilibre actuellement à la somme de 11
126 Fr. 90 (année 1897), pour une population de 384 habitants, soit 290 francs
par habitant, non compris les impôts indirects et ceux de l'Etat et du
département.
Parmi les principaux ouvrages
exécutés depuis la Révolution nous citerons :
À .
L'établissement de cinq chemins vicinaux et d'intérêt commun d'une longueur
totale de 14 826 mètres, savoir : chemin d'intérêt commun n° 23 d'Estissac à
Tonnerre, 4 561 mètres.
Á - Ponts - La
construction de sept ponts carrossables en pierre, savoir :
-
Sur le chemin de Lignières,
construit en 1865, coût : 3 800
francs
- " d'Ervy " 1874 11 315 francs
- " de
Coussegrey " 1885
3 796 francs
- " de Chervey " 1889
1 500 francs
- " De Prusy " 1895
2 000 francs
- " rue du
Four " 1895
3 360 francs
- " rural de
Prusy " 1898
1 300 francs
Et
un aqueduc sous la rue du Faubourg-de-la-Fontaine, 1876.
 - Maison
communale. Bâtie en 1878 sur un emplacement couvert de masures qui furent
démolies, et acheté par la commune vers 1860, cet édifice d'aspect banal, sans
style ni ornement d'architecture, construit en briques et pierres badigeonnées
de mortier de chaux, et agrémenté sur la façade d'une cour clôturée par un mur
bas, surmonté d'une grille en fer et d'un perron auquel on accède par un
escalier de plusieurs marches en pierres et par un clocheton, renfermant une
horloge, qui surmonte l'édifice (lequel a été ajouté depuis la construction) ;
par derrière il existe un bel enclos, complanté d'arbres fruitiers de toutes
sortes, d'une
1
- M. Robin des Places fut président jusqu'à l'an VIII de l'administration
municipale du canton de Bernon, qui comprenait, ainsi qu'il a déjà été dit :
Avreuil, Bernon, Coussegrey, Marolles, Prusy, Vanlay et Lignières.
contenance
de 26 ares 33 centiares, servant de jardin et verger à l'usage de l'instituteur
communal. Indépendamment de la salle de mairie, une pièce servant de
bibliothèque communale, et de salle d'école, il renferme en outre diverses
pièces appropriées pour le logement de l'instituteur. Cet édifice situé dans le
bas de la Grande-Rue a coûté 31 780 francs.
à - Hôtel de la
poste . - La construction d'un pavillon à usage des Postes, Télégraphe et
Téléphone.
Ä - L'achat du
terrain et la construction des murs et porte du nouveau cimetière.
Å - L'achat
d'une pompe à incendie et de ses accessoires et la construction d'un hangar
pour les remiser.
Æ - L'achat et
l'installation des deux cloches bénites, en 1862 ; du confessionnal et de la
chaire sculptés.
Ç - Enfin
l'érection sur la place en face de l'église et du presbytère, d'un socle en
pierre surmonté d'un buste en bronze à l'effigie de la République1.
3°
- Notes diverses. Desiderata. -
Malgré les sacrifices que la commune de Bernon a su s'imposer pour ne pas
rester en arrière des autres localités, il reste encore beaucoup à faire ; nous
essayerons d'indiquer ici quelques
desiderata auxquels l'administration municipale satisfera, nous en sommes sûrs,
au fur et à mesure que les ressources le permettront :
Nous signalerons en première ligne
l'établissement d'un asile pour vieillards et invalides à la charge du Bureau
de Bienfaisance,, ou, ce qui serait préférable et mieux apprécié par la
population, la fondation d'une maison de retraite hospitalière pour vieillards
et invalides, sous la filiation d'une institution religieuse autorisée de cet
ordre.
Si les règlements concernant
l'hygiène dans les campagnes y étaient mieux observés et appliqués, il n'est
pas douteux qu'on verrait disparaître certaines épidémies qui y causent tant de
ravages dans la population et même le bétail.
La Grande-Rue bordée de fossés
malpropres, où l'eau sale et la boue séjournent en nappes croupissantes, est
une cause d'insalubrité permanente qu'il serait facile de faire disparaître en
transformant ces fossés en aqueducs. Deux belles rangées d'ormes ou de tilleuls
de chaque côté auraient l'avantage de l'assainir et en même temps de l'embellir
par de beaux ombrages, quelques bancs de bois y seraient un agrément pour les
vieillards. Quand cela est possible sans trop de frais, comme cela serait le
cas pour Bernon, partout l'eau de source pour les besoins de l'alimentation de
la population et du bétail, devrait être substituée à l'eau de puits ou de
rivière par des travaux de captation et
de canalisation appropriés, à l'instar de ce qui a déjà eu lieu dans la plupart
des villes.
1
- Nota - Pourquoi érection, en face de l'église de ce frêle et inesthétique
monument, qui ressemble plutôt à un tombeau funéraire particulier, qu'à un
monument public ? Mystère maçonnique sans doute, qui signifie ou veut signifier
pour les initiés : "ceci tuera cela", comme l'a dit Victor Hugot, au
sujet du livre qui tuera la cathédrale. Et cela est d'autant plus
incompréhensible que ce monument a été érigé aux lieu et place d'un superbe
orme dit de la liberté, planté là par les républicains de 1848 et qu'il fallut
abattre.
L'aménagement des eaux vives et des
eaux pluviales des ravins par la création d'étangs, en certains endroits
propices, pour l'irrigation des prairies et des pâtures pourrait également
devenir une source de richesse appréciable.
Indépendamment des autorités
municipales, il nous semble qu'il y aurait utilité et avantage à fonder à
Bernon une ferme modèle, qui serait la propriété d'un syndicat d'agriculteurs
et de viticulteurs, et où, moyennant une faible cotisation, chaque adhérent
trouverait aide et protection pour l'achat des matières et instruments
agricoles utiles à ses besoins et pour la vente de ses produits;
Cette association deviendrait un
centre d'activité pratique où pourraient se fonder peu à peu, suivant les
ressources, des oeuvres destinée à améliorer la condition matérielle des
adhérents, telle, par exemple, qu'une caisse de prévoyance et de secours contre
les accidents, les incendies, la mortalité du bétail, etc...
Ce serait aussi un centre
d'instruction qui servirait à créer un musée-bibliothèque, un centre de
lecture, un jardin des plantes et d'acclimatation.
Enfin, ce serait un centre de
récréation où pourraient s'organiser des concerts, des jeux, des conférences ;
ce serait aussi et surtout un centre de renseignements pour les initiatives de
bien social et d'éducation agricole.
Ce syndicat, devant rester purement
professionnel et neutre en toute matière, il serait interdit aux adhérents,
sous peine d'exclusion, d'y exprimer ou propager des idées politiques ou
religieuses.
4°
- Maires de Bernon depuis la révolution.1
MM. Joseph Chaulet, 1791 à novembre
1792.
Jacques Jamin, décembre 1792 à l'an
II de la République.
Claude-Marc Bourgoin, de l'an II à
l'an IV (brunaire).
Un nommé Mathieu signe comme agent
municipal de brunaire à nivôse de l'an IV.
Edme-Robert Desplaces, nivôse an IV
au 1er mai 1809.
Jean Mathieu, 1er mai 1807 à
avril 1830.
Jacques Chaulet, mai 1830 à 1840.
Collin (Jacques-Louis-Toussaint),
août 1840 à avril 1847.
Bouchu (Pierre), avril 1847 à 31
juillet 1848.
Cordier (Joseph), juillet 1848 à
octobre 1856.
Thiney (Napoléon), octobre 1856 à 12
août 1869.
Barrat (Armand), 12 août 1869 à mai
1888.
Chaulet (Cyrille), mai 1888 à mai
1892.
Barrat (Armand), mai 1892 à mai
1896.
Chaulet (Cyrille), mai 1896 à
février 1903.
Defert (Juste), février 1903 à avril
1907.
Thaureau (Olympe), avril 1907 à
décembre 1919.
Mathieu (Armand), mai 1912 à
décembre 1919.
Blonde (Eugène), décembre à ce jour.
1
- Nota - Qu'il nous soit permis de remercier ici M. Chaulet (Cyrille), maire de
Bernon et M. Haillot, instituteur communal, qui se sont attachés à nous
faciliter notre travail pour nous permettre de donner des renseignements
statistiques exacts concernant les archives communales. Si nous avons
l'agrément de ces renseignements, ils en ont tout le mérite.
Depuis 1836, date du premier
recensement officiel, la population de Bernon a varié dans les proportions
ci-après :
1836 : 433 habitants.
1846 : 462 "
1856 : 475 "
1866 : 445 "
1876 : 420 "
1886 : 407 "
1896 : 384 "
Une
semblable diminution de la population si elle devait persister mettrait en
péril l'avenir du pays. Or, il est une loi, celle du jus terrae , opposé au jus
sanguinis. Cette loi admet que la patrie est le lieu ou l'on est né, ou
presque toujours on grandit et on meurt ; le pays où l'on a ses souvenirs
d'enfance, ses affections, ses amis, ses deuils. Elle préfère le milieu à la
race ; elle admet une victoire sur l'atavisme. Que font tous les peuples jeunes
ou trop peu nombreux qui manquent de bras ? Ils s'incorporent des étrangers qui
seront dans un avenir très prochain des fils du pays. C'est une loi de la nature
qui a horreur du vide et qui se charge de combler les lacunes partout où il
s'en produit. Voilà le milieu qui aidera nos campagnes à se repeupler et à
redevenir florissantes.
Nous voici arrivé au terme de la
tâche que nous nous sommes proposés et nous voudrions laisser comme adieu au
village dont nous avons esquissé l'histoire, un horoscope de prospérité. Mais,
hélas ! si nous avons soulevé avec tant de peine le voile qui couvre son
berceau, il n'en est plus de même de son avenir et, sans risquer de passer pour
un prophète de mauvais augure, nous pouvons à coup sûr prédire à Bernon le sort
qui lui est réservé. C'est dans le position topographique d'un village, comme
une ville, que se trouve la principale condition de son développement ; aussi,
par suite de sa situation, le village de Bernon est-il voué à un éternel statu quo. Couché comme un géant endormi
dans le fond de sa vallée, la vieille cité berconnaise, autrefois si redoutable
par sa forteresse et si prospère par la puissance de ses seigneurs, est
condamnée à voir dans une immobilité séculaire, ses voisines Chaource, Ervy,
Saint-Florentin, plus heureuses et plus prospères : et si, dans un siècle ou
deux, ces pages existent encore et que nos arrière-neveux les parcourent, ils
s'étonneront sans doute de la retrouver telle que nous venons de la décrire,
peut-être même amoindrie et moins peuplée par suite de la substitution de la
machine à la main-d'oeuvre.
Puisse-t-elle être du moins pour eux
ce qu'elle fut pour nous : l'alma parens
du poète, toujours belle et chère, malgré ses défauts.
APPENDICE
Vieux papiers
I - A partir du traité de Verdun,
l'an 843, commence l'histoire des Français ; jusque là il s'agit de l'histoire
des Gaulois, des Gallo-Romains et des francs. La France, en effet, a reçu
maintenant toutes les races dont sa population s'est formée (sauf les
Northmans, qui, au reste, se montre déjà sur les côtes et ne s'y établiront
qu'en petit nombre) et tous les éléments celtique, romain, chrétien, germanique
de la combinaison dont sortira sa civilisation. Le mélange est même déjà assez
avancé pour qu'on ne distingue plus le Gallo-Romain du Franc, le civilisé du
Barbare. Tous ont mêmes moeurs et à peu près même langue. L'idiome français
s'est montré officiellement au traité de Verdun ; le droit cesse d'être
personnel et devient local ; les coutumes remplacent le code romain ou les
codes barbares ; il n'y a guère d'esclaves, il y a peu d'hommes libres, on ne
verra bientôt plus que des serfs et des seigneurs.
Mais cette France n'a plus l'étendue
de la Gaule, le traité de Verdun l'a rejetée derrière l'Escaut et la Meuse ;
derrière la Saône et le Rhône1. L'empire de Charlemagne s'est brisé
en trois royaumes ; la France va se briser en principautés féodales dont
quelques-unes aspireront même à jouer le rôle d'Etats indépendants. La royauté,
faible au début contre les grands vassaux, les absorbera peu à peu et deviendra
toute-puissante. " L'Etat c'est moi", a pu dire Louis XIV. L'unité de
la nation française est réalisée et ce fut l'oeuvre de nos rois.
II - L'histoire de la royauté et de
la féodalité est connue et diversement appréciée. Voici à ce sujet un article
de M. Gabriel Latouche paru dans le journal l'Eclair, n° 7706.
"Avec l'Histoire de MM. Guiot
et Mane nous en aurons fini des manuels d'Histoire. Et nous retrouverons dans
ce manuel les défauts encore exagérés de ceux dont nous avons déjà parlé !
Toujours le même mystère ; ne faire connaître dans le passé que ce qui est
critiquable afin de le faire prendre en haine et en horreur aux enfants.
"Par une division arbitraire
les auteurs sacrifient l'Histoire de France jusqu'à la Révolution. Les faits et
les institutions qui ont le plus grande importance pour le développement de
notre histoire nationale y sont passés sous silence. C'est ainsi que le système
de la féodalité, sans lequel il est impossible de comprendre le moyen âge,
n'est pas même indiqué. On ne dit rien de la Renaissance. Louis XIII et
Richelieu ne sont pas nommés. Par contre, il y a de longues tirades sur les
diligences, les famines, et la Saint Barthélémy, etc...
"Tout ce manuel est rédigé de
façon à faire considérer nos aïeux comme des brutes et à faire croire aux
enfants que le monde vivait dans les ténèbres, la barbarie, la misère et
l'obscurantisme avant la Révolution, tandis que depuis lors il fait toujours
beau, nous sommes les gens les plus civilisés, les plus instruits, les plus
heureux qu'on puisse rencontrer.
1
- Dès le début de la guerre de 1914-1918, les Allemands ont indiqué que leur
but de guerre était de ramener la France dans les limites de ce traité, sans
compter bien entendu la rançon qu'ils nous eussent imposée pour leurs frais de
guerre.
"Voyez par exemple ce qu'était
la France vers l'an 1000.
"Le seigneur est un brigand, il
ravage les terres, brûle les moissons, incendie les chaumières. Parfois, il se
cache avec sa troupe, auprès d'un chemin isolé qui traverse une forêt. Il
attend les riches marchands. Les malheureux sont fait prisonniers (cours
préparatoire, p.27).
"Voici le paysan maintenant :
il habite un taudis. Il n'est pas libre, il est parfois esclave. Un collier en
cuir semblable à celui d'un chien est fixé à son cou. On y lit ces mots :
Jacques Bonhomme, serf du sire de Puiset. (P.31)
Il a pu arriver que certains
seigneurs aient dévalisés des marchands. D'autres qui ne sont pas seigneurs
dévalisent marchands et gogos, comme l'on prouvé certaines affaires financières
récentes. Mais, dire que c'était là leur unique occupation est une sottise. Les
seigneurs au début étaient de vrais gendarmes qui pourchassaient les bandes de
pillards. Taine et bien d'autres historiens l'ont proclamé. Les paysans avaient
dit aux seigneurs : Battez-vous pour nous et nous cultiveront pour vous.
On affirme que l'an mil, les famines
étaient perpétuelles ! Alors de quoi vivaient nos ancêtres ? On va vous le
dire. Les voyageurs étaient déchirés, rôtis et dévorés (p. 43). Les tirait-on
au sort, au moins, comme dans la chanson du petit navire ? Le grotesque le
dispute à l'odieux !
"Plus loin : les seigneurs se
faisaient des omelettes qui coûtaient mille francs (p. 89). Vous avez vu la
note ? Les paysans ne mangeaient que de l'herbe, parce que les seigneurs, curé
et roi, leur ont pris tout ce qu'ils ont gagné à la sueur de leur front (p.
91). Pour labourer ils étaient obligés d'atteler à la charrue leurs femmes et
leurs enfants (p. 90 avec gravure pour montrer ce spectacle) ; et à chaque
instant des inventions aussi saugrenues.
"Est-ce
ignorance ou mauvaise foi ? Ces primaires n'ont donc pas lu un seul des
innombrables travaux publiés depuis quarante ans sur le moyen âge, la
féodalité, l'ancien régime ? Qu'ils ouvrent par exemple : le village sous l'ancien régime, par M. Bableau , membre de
l'institut. Ils y verront notamment qu'au XIIe et XIVe
siècles, les libertés nouvelles accordées aux populations rurales contribuèrent
à accroître leur bien-être. L'aisance n'était pas incompatible avec le servage.
On cite des hommes de corps dont le mobilier agricole et les bestiaux feraient
envie à un fermier de nos jours (archives de l'Aube).
"Dans des maisons couvertes de
chaume vivaient des habitants habillés de solides étoffes, au milieu de meubles
qui différaient peu de ceux des paysans modernes. L'argenterie y était même
plus commune : dans la vaisselle du peuple des campagnes on parle à chaque
instant de hanaps, de gobelets, de cuillers d'argent (v. Siméon Luce, Histoire de B. Du Guesclin, t. 1, p.
60).
"Sans doute il y eut des
époques de crise lors de la guerre de Cent ans, lors des guerres de religion,
avec des conséquences dont nous n'avons pas l'équivalent ; par exemple les
famines nées de l'insuffisance de moyens de communication (il y en a bien
encore aujourd'hui aux Indes et dans l'Extrême-Orient), mais toujours les
populations se relèvent par le travail avec une vitalité merveilleuse.
"Sous Henri II, l'aisance et la
richesse étaient universelles (v. Les Baliverneries - 1548 - ch. IV). Les
bourgeois des villes se sont voulu habiller à la façon des gentilshommes, les
gentilshommes aussi somptueusement que les princes, les gens des villages à la
manière des bourgeois des villes (archives municipales de Troyes).
"Une preuve indiscutable de la
progression de la richesse, c'est l'augmentation de la valeur des choses. Au
commencement des guerres de religions, lit-on dans un document du temps, les
gens des villages estaient si riches et plainz de tous biens si moult meublez
et leurs maisons si plainz de volailles et de bétail que c'estait une noblesse
(cahiers des villages du bailliage de Troyes, 1576).
"Ce qui n'empêche pas Guiot et
Mane d'écrire dans le cours moyen (p. 146) à propos des paysans avant 1789 :
Ils se nourrissaient comme des moutons et crevaient comme des mouches.
"Or, tous les historiens
autorisés s'accordent à reconnaître que les paysans furent heureux sous le
règne de Louis XVI. Depuis vingt-cinq ans dit le cahier de Nemours en 1789, la
culture, la population, les richesses de la France, ont fait comme ses lumières
des progrès très sensibles. Ce cahier est l'oeuvre de Dupont de Nemours. La
majorité des paysans étaient devenus propriétaires. Nous l'avons constaté déjà
en parlant de la vente des biens du clergé au début de la Révolution au XVIIIe
siècle, écrit Léonce de Lavergne, les petites propriétés étaient aussi
nombreuses que de nos jours (v. Economie
rurale de la France, p. 26 et Tocqueville, l'Ancien régime, p. 60-62).
"A tous ces manuels acharnés au
dénigrement du passé opposons la réponse d'un haut fonctionnaire du
gouvernement, de M. Gasquet, directeur de l'enseignement primaire au ministère
de l'instruction publique :
"Il semble, dit-il, que pour
beaucoup de nos primaires la Révolution ait tracé une ligne de démarcation absolue entre deux époques ; qu'avant
cette date fatidique la France ait végété en une ère d'ignorance et de
ténèbres, en un abîme de souffrances et de misères où l'aube de 1789 commença à
laisser filtrer le premier rayon d'espoir et de salut.
"C'est là un conception
simpliste et fausse. Elle est injurieuse pour nos ancêtres, capables d'avoir
supporté si longtemps ce joug d'iniquité ; elle est impossible à concilier avec
le chef-d'oeuvre de civilisation réalisés dans ce passé avec la collaboration
de tous. Cet ancien régime a connu des siècles de splendeur et de prospérité.
Des recherches des érudits et des documents qu'ils ont rassemblés, il semble
résulter qu'au XIIIe siècle la France fut presque aussi riche, aussi
peuplée et l'homme du peuple aussi heureux qu'il le fut jamais sur notre sol.
"Et M. Gasquet ajoute plus
loin. La féodalité fut accueillie, en son temps, comme un bienfait."
II - La vie et les moeurs à la campagne. - Les soirées au XVIe siècle. Dans ses notes
sur la vie privée à la Renaissance, M. Edmond Bonafé a consacré un chapitre à
la manière dont nos ancêtres, la journée achevée et les affaires faites,
aimaient à passer le temps. Les soirées ou veillées, sur lesquelles nos vieux
conteurs sont intarissables montrent quelle a toujours été l'aimable
sociabilité de notre race. On n'aimait pas manger chez soi : on préférait
porter son plat chez le voisin à tour de rôle pour deviser ensuite, une fois le
couvert enlevé, et laisser venir tout doucement l'heure d'aller au lit.
Guillaume Bouchet, l'auteur du recueil des contes intitulés Sérés, dit à ce propos : "Je ne
saurait trop me saouler de louer l'honneste coutume et façon de vivre de
laquelle on use en plusieurs villes de notre France où les parents, amis et
voisins s'accordent à porter chacun son petit ordinaire en la maison tantôt de
l'un tantôt de l'autre". Les soirées portaient différents noms suivant les
provinces : sérées ou série en France ; sieste en Artois ; en Hainaut, escriènes ; en Bourgogne, escraignes.
Etienne Tabouret, dans ses Escraignes
dijonnaises, nous a laissé une vive description de celle-ci. Il y avait
dans chaque village une salle commune, sorte de hutte, faite de mottes de terre
et de gazon soutenue par des pieux, où se réunissaient chaque soir les femmes
et filles des vignerons avec leurs quenouilles, une petite lampe et un trappe
de feu (chaufferette) pour "faire la veillée jusqu'à minuit", en
compagnie des jeunes varlots et amoureux qui y vont pour découvrir le secret de
leurs pensées à leurs amoureuses". En Bretagne ce sont les veillées et
fileries, ne différant des escraignes qu'en ne ce qu'elles ne se tiennent pas
dans un endroit spécial, mais chez l'un ou l'autre (c'était aussi l'usage à
Bernon, usage qui existait encore sous le règne de Napoléon III). "C'est
une vieille coutume en ce pays, dit Noël du Fail, et crois que partout
ailleurs, de se trouver et amasser chez quelqu'un du village le soir, pour
tromper les longueurs des nuits et principalement de l'hiver, au temps ou nous
estions aux escholes à Bern, il se faisait des fileries qu'ils appelaient
veillais, où se trouvaient des environs plusieurs valetz et hardeaux (jeunes
garçons) illec s'essemblans et jouans à une infinité de jeux que Panurge n'eust
onc en ses tablettes. Les filles les unes assizes en plus élevé sur une (huche)
ou maie, à longues douettes ( en longues filles) afin de faire plus
gorgiassement pirouetter leurs fuseaux, non sans être espiés s'ils tombaient,
car en cas, il y a confiscation rachetable d'un baiser et, bien souvent il en
tombait de guet à pans et à propos délibérés ; les autres moins ambitieuses
estant en un coin près du feu, regardant par sur les épaules des autres et plus
avancées, se haussant sur le bec du pied tirant et mordant leur fil et
peut-être bavant dessus pour n'être que d'étoupe. Ceux qui voulaient tant peu
fust faire les doux yeux, dérober quelques baisers à la sourdine, frappant sur
l'épaule par derrière étaient contrôlés par un tas de vieilles qui perçaient de
leurs yeux creux jusque dans le teot (étable) aux vaches ou par le maistre de
la maison étant couché sur le costé en son lit bien clos et terrassé, et en
telle vue qu'on ne lui pût rien cacher".
Il faut croire que le contrôle
n'était guère efficace ou qu'il s'était relâché avec le temps car, au XVIIe
siècle, les évêques s'efforçaient d'interdire veillées, fileries et escraignes,
comme étant la principale source "de la corruption et du vice des
campagnes".
III - Ordonnances sur la répression des fraudes en 1481. - A tout homme ou femme qui aura vendu du lait mouillé,
soit mis un entonnoir dedans sa gorge et le lait mouillé entonné jusques à
temps qu'un médecin ou barbier, dise qu'il n'en peut, sans danger de mort,
avaler davantage.
Tout
homme ou femme qui aura vendu du beurre contenant navet, pierre ou autre chose,
sera saisi et bien curieusement attaché à notre pilori du Pontel. Puis, sera
ledit beurre, rudement posé sur sa tête, et laissé là tant que le soleil ne
l'aura pas entièrement fait fondre. Pourront les chiens le venir lécher et le
menu peuple l'outrager par telles épithètes diffamatoires qu'il lui plaira
(sans offense de Dieu, du roi ni d'autres). Et si le temps ne s'y prête et
n'est le soleil assez chaud, sera le délinquant en telle manière exposé, dans
la grande salle de la geôle devant un beau gros et grand feu, où tout un chacun
pourra le venir voir.
Tout homme ou femme qui aura vendu
oeufs pourris ou gâtés sera pris au corps et exposé sur notre pilori du Pontel.
Seront lesdits oeufs abandonnés aux petits enfants qui, par manière de
passe-temps joyeux s'ébattront à les lui lancer sur le visage ou dessus ses
habillements pour faire rire le monde. Mais ne leur sera permis de jeter autres
ordures.
Cette
curieuse ordonnance, signée Jacques de Tourzel, se trouve dans les archives du
Puy-de-Dôme.
IV - Ephémérides. - Jules
César est le premier historien qui a mentionné dans ses Commentaires sur la
guerre des Gaules, les différents peuples qui vivaient sur le territoire de
l'ancienne Gaule, c'est-à-dire dans les limites de la France actuelle, et cela
58 ans avant Jésus-Christ. Il en a tracé un souvenir impérissable qui forme la
base de notre histoire nationale.
En l'an 407, les peuples d'outre-Rhin,
longtemps contenus par les légions romaines dans les forêts de la Germanie,
firent irruption dans la Gaule, qui fut presque toute entière à leur
discrétion. Les provinces furent inondées, dévastées, sans résistance, par le
pillage, l'incendie, la menace. Les écrivains du temps (Salvien, Paul Orose,
Saint Jérôme), la représentent comme étant après le passage de ces fléaux, dans
un tel état, qu'on n'y voyait plus ni hommes, ni troupeaux, ni habitations, ni
cultures, ni arbres, et que la ruine eût été moins complète, quand l'Océan
aurait débordé sur les campagnes.
La peste dévasta le royaume de
France, en l'année 1348, remplit de victimes les villes et les campagnes,
suscita la secte étrange des Flagellants et causa le massacre des Juifs.
L'avenir s'assombrissait au moment où Philippe VI mourut. Son fils Jean lui succéda
sur le trône. C'était le prélude des calamités qui allaient fondre sur la
France, pendant un long siècle de discussions intestines, de guerres, de revers
et d'occupations étrangères (commencement de la guerre de cent ans).
En 1356, le désastre de Poitiers eut
de funestes conséquences : la marche triomphante des Anglais, les plaintes et
les menaces des habitants des campagnes qui faisaient pressentir la Jacquerie.
L'agriculture et le commerce furent arrêtés dans leur développement et chacun
pourvut à sa sûreté. Les villes ouvertes, ou bien celles comme Bernon,
jugeaient leurs défenses insuffisantes, réclamèrent des fortifications.
"Elles firent très bien en cela, dit Foissart, autrement elles eussent été
perdues et courues par trop de fois.
C'est probablement pendant cette
période de troubles et de misères, qu'on vit s'élever à Bernon, ces nombreux
enclos de murailles autour des habitations et de la cité (dont la plupart sont
encore debout), lesquels formaient autant de redoutes pour la défense du
village, contre les ennemis du dehors.
Avec la Révolution de 1789, les
guerres de la République et de L'Empire, les invasions de 1815, de 1870 et de
1914, la France a subi de nouveau des maux sans nombre et aussi terribles que
ceux des siècles passés ! Quand donc l'humanité verra-t-elle se fermer les
portes du Temple de Janus, et la paix régner sur la terre ? Hélas ! cet heureux
temps n'est sans doute pas près d'arriver, puisque la guerre semble être
d'essence divine et s'est toujours révélée comme une nécessité : c'est dans la
sang.
V
- La providence de Vico. - Ayant
lu les anciens, et s'étant surtout pénétré de Machiavel, Vico emprunte à
chacun, pour composer une philosophie basée sur l'histoire universelle. Il
découvrit que les hommes sont menés par leurs appétits et que s'il était en
leur pouvoir de gouverner le monde, ce serait bientôt la pire anarchie et la
fin de tout. Mais le cours des événements est réglé ; l'évolution dans le sens
du progrès, s'accomplit malgré eux et en dehors d'eux, grâce à la discipline
qu'impose à leurs agitations une force dont ils sont à peine conscients, qui
les domine, les dirige et les orient. Il donne à cette force éternelle,
invisible, intelligente, le nom de Providence et non la loi du progrès. Pour
Vico, cette Providence est de source divine. Elle est le type éternelle de la
justice dont Dieu a déposé le germe dans le coeur de l'homme.
Vico a prétendu établir que la
Providence n'a assigné à chaque peuple qu'une existence limitée, qui n'est pas
sans analogie avec celle des individus : les nations naissent avec les Dieux et
les Mythes, passent aux héros et s'achèvent dans la civilisation. Au plus haute
période de civilisation, elles se décomposent et se dissolvent. Arrivés à ce
degré fâcheux de déliquescence, quelles ressources restent aux peuples ? Vico
le dit expressément : Ils n'ont que trois moyens de finir : ou par la conquête
étrangère, qui les incorpore à un peuple jeune et les revivifie ; ou par le
despotisme qui les réforme, ou par l'anarchie, qui, en ramenant la nation à
l'état de sauvagerie, la fait reculer jusqu'à ses origines et l'oblige à
recommencer.
Sommes-nous donc arrivés à ce degré
fâcheux de déliquescence dont parle Vico ? On le croirait à voir ce qui se
passe en France, du haut en bas de l'échelle sociale depuis la Révolution de
1789.
VI
- Lendemain de Révolution. -
Réfugié à Zurich pendant la Terreur, M. Meister revint à Paris, au moins de
septembre 1795, à la veille du jour où le peuple français allait voter la
constitution de l'an III. Dans ses souvenirs, M. Meister raconte simplement,
objectivement, ce qu'il a vu en traversant notre pays.
Partout, il a été frappé de la
lassitude, du mécontentement général qui règne dans le peuple et de son
indifférence parfaite au succès ou à l'échec, du nouvel ordre de choses. Selon
lui la grande majorité de la nation était neutre au moment de la Révolution.
Elle n'a cédé qu'à la terreur du despotisme révolutionnaire. Un petit nombre de
violents résolus, a su imposer sa volonté à l'immense masse des insouciants et
des faibles.
L'immense majorité du peuple
français ne tient pas du tout au nouvel ordre de choses, mais une minorité
énergique est seule à agir, les autres ne demandent que repos, paix et un
certain confort résigné. Ceux qui ont réellement gagné à la Révolution sont peu
nombreux, et une aubergiste de Vesoul exprime le sentiment général, quand elle
dit à Meister : "Ah ! monsieur, pour un que la Révolution enrichit, croyez
qu'elle en appauvrit mille".
Meister remarque que, plus on est
loin de Paris, moins le peuple aime le nouveau régime, moins il y croit. Dans
beaucoup de campagnes on refuse, non seulement les assignats, mais les écus qui
ne portent pas l'effigie royale. (Le Louis d'or de 20 francs a valu 2 000
francs.).
A Paris, partout on spécule et on
tripote. On vend, on achète, on revend des terrains pour des millions, sans
savoir ce qu'on fait : le brocantage est général et la ville apparaît comme une
immense friperie.
Un bon nombre d'agioteurs font
fortune, mais les denrées nécessaires à la vie sont plus chères qu'autrefois et
une véritable disette règne. Paris serait mort de faim sans les énormes
distributions officielles et quotidiennes de pain, vivres, chandelles, charbon,
que le gouvernement fait contre des bons à prix réduit. Le peuple fait la queue
aux guichets, murmure et revend ses bons aux agioteurs. D'autres, craignant de
mourir de faim, élèvent des lapins et des chèvres.
En résumé, la masse est indifférente
et la République ne se maintient que par l'audace et l'habileté de ses
artisans, par l'incapacité et les divisions de ses adversaires.
A combien de révolutions on pourrait
appliquer le jugement de Meister !
VII
- Pendant et depuis la guerre de 1914-1918, nous assistons aux mêmes
turpitudes, aux mêmes méfaits de la brocante et du mercantilisme triomphants ;
nos gouvernements donnent d'ailleurs eux-mêmes l'exemple, en dilapidant la
richesse acquise, le Trésor Public, par des lois de circonstances et
d'exception pour enrichir la tourbe des profiteurs sans scrupules, au détriment
des citoyens paisibles et honnêtes ; à ce point, qu'on désigne maintenant la
société française sous deux catégories :
"
les nouveaux riches et les pauvres nouveaux " ; les premiers, vivant bien,
jouissant copieusement de tous les avantages que donne la richesse, sont enviés
et respectés par la multitude ; tandis que les seconds, tristes et résignés,
vivant mal et, obligés de se priver souvent des choses les plus nécessaires,
sont abandonnés et méprisés par les nouveaux riches et par la jeunesse, qui
n'ont plus de sollicitude que pour l'argent et les plaisirs !...
"Ce n'est pas la République de
1870 qui nous a tués ; ce n'est pas non plus l'Empire, ni même le régime
précédent, quoiqu'il n'y ait pas nui. Toutes ces formes et tous ces systèmes ne
sont que des figures diverses de même ulcère provenant du même sang vicié. Nous
mourons de la Révolution de 1789."1.
1 - Louis Veuillot (Lettres d'un catholique).
TABLE
DES MATIERES
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Pages
Avant-propos
PREMIERE PARTIE
Géographie Physique
Nom,
situation, limite, superficie
DEUXIEME PARTIE
Histoire
Chapitre
premier - Epoque gallique et gallo-romaine
Chapitre
II - Epoque franque
Chapitre
III - Epoque féodale
Chapitre
IV - Epoque moderne
Appendice
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