Jules-Henry THINEY

 

( ancien notaire, 1924 )

 

 

 

NOTICE SUR BERNON

 

( Aube )

 

 

 

 

TYPOGRAPHIE FIRMIN-DIDOT ET Cie

MESNIL-SUR-L'ESTRé ( EURE )

 

 

1928

 

 

 

 

 

L'Histoire est une résurrection. ( Michelet )

 

L'Histoire de la contrée, de la province, de la ville natale est la seule où notre âme s'attache par un intérêt patriotique, les autres peuvent nous sembler curieuses, instructives, digne d'admiration, mais elles ne nous touchent point de cette manière.

(Aug. Thierry, Lettres sur l'histoire de France.)

 

 

AVANT-PROPOS

 

 

Idée au long essor, rêve antique des hommes,

Dans un texte enfermés vous venez jusqu'à nous.

Ecrits des jours anciens, premiers livres, c'est vous

Qui du sauvage errant, fîtes ce que nous sommes.

Mme Daniel LESUEUR.

 

 

            L'objet de cette notice est de montrer comment Bernon s'est formé et développé à travers les âges et comment ses habitants furent administrés et vécurent aux diverses époques.

            Dès le IVe siècle saint Chrysostome voulait que chaque village eût son église, son voeu fut réalisé dans la suite par les fidèles du christianisme triomphant. De même M. A.. Monteil (dans son traité des matériaux manuscrits) disait : "les moindres villages devraient avoir leur historien". Or, ce désir du savant publiciste, nous avons tenté de l'accomplir pour notre pays natal ; mais sans l'arrière pensée, disons le bien vite, d'avoir réussi dans cette tâche. Recueillir quelques documents épars, enregistrer quelques événements d'une importance toute local, risquer quelques conjectures sur un passé ténébreux, tel est le but que nous nous sommes proposé et un travail de cette nature, avec ses lacunes, ses hypothèses, ses inexactitudes sans doute, ne peut évidemment mériter le nom d'histoire. Sorte de mémorial de famille, d'un attrait et d'une utilité également contestables, cette notice ne saurait trouver grâce devant les lecteurs indifférents ; mais si, dans ce village, ce livre rencontre quelques hommes qui, aimant la cité où fut leur berceau, où ils ont pour ainsi dire leurs racines, doivent aimer aussi à en suivre à travers les âges la lente évolution, à en dérouler les humbles annales, à connaître enfin de quelle vie y vécurent les générations qui nous ont précédés, ce livre aura sa raison d'être. C'est à ces lecteurs surtout qu'il s'adresse et l'auteur borne son ambition à leur sympathique accueil. "Aux sociétés savantes, a dit M. Bazet, il appartiendra de rechercher, d'examiner les documents, d'en déterminer la valeur, avec cette précision qu'assure l'expérience de la vie locale, de continuer la publication de leurs savants mémoires. Ainsi, dans chaque pays, s'élaboreront, par une collaboration cordiale, ces histoires de villages, de villes, de provinces, qu'il faut en quelque sorte récrire et mettre au courant tous les cinquante ans.

J. H. THINEY

 

Nota : Il n'y a guère dans cette notice rien de nouveau que des descriptions de faits ou événements tout locaux. La plupart des documents et des constatations ont déjà été publiés ailleurs, dans divers ouvrages, notamment dans le dictionnaire géographique de l'Aube par MM. BOUTIOT et SOEARD, et dans l'histoire civile et ecclésiastique du diocèse de Langres par l'abbé DEMANGIN où les éléments principaux ont été puisés.

            Là où j'ai eu à mentionner un fait ou une hypothèse déjà publiés je les ai rappelés sous la même forme. Le lecteur m'en excusera en pensant que mon but n'était pas de faire oeuvre de littérateur mais d'historien local.

 

 

PREMIERE PARTIE

 

GEOGRAPHIE PHYSIQUE

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Nom, situation, limites, superficie.

 

 

            Sur le palier inférieur occidental du plateau de Langres, dans le fond d'une vallée jurassique, orientée du sud-est eu nord-ouest et baignée par le ru Deniot-Mandrille, petit affluent de gauche de la rivière de l'Armance, dans laquelle il se jette au-dessous d'Ervy, un village d'aspect agréable, se développe au milieu d'une fertile plaine, au pied d'une éminence, en forme de promontoire, que dominait jadis une forteresse.

            Ce village, entouré de prairies et de coteaux pittoresques, ondulés çà et là par quelques gorges et ravins, et couverts de forêts, c'est Bernon, qui fut tour à tour: oppidum gaulois dans le pagi des Lingons ; castrum gallo-romain ; vicus avec poste militaire, dans la Bourgogne et le conté de Langres pendant la première et la seconde race de nos rois ; ensuite paroisse et seigneurie avec fief féodal et château fort sous la suzeraineté des évêques, comtes de Langres, tant pour le spirituel et l'administration épiscopale que pour la mouvance, mais ressortissant, par son inféodation, au domaine ecclésiastique de Saint-Vinnemer, et du comté de Tonnerre, ensuite des comtés héréditaires de Bar-sur-Seine et de Champagne.

            Ville close, paroisse et seigneurie, avec fief héréditaire, dépendant de la terre de Tanlay, aux derniers jours de la monarchie absolue, dans le comté de Champagne.

            Chef-lieu d'un canton au début de la révolution de 1789, créé en exécution du décret du 15 janvier 1790, dépendant du district d'Ervy, comprenant sept communes : Bernon, Avreuil, Coussegrey, Lignières, Marolles, Prusy et Vanlay, et supprimé l'an VIII (loi du 28 pluviôse, 17 février 1800).

            Aujourd'hui simple commune du département de l'Aube, arrondissement de Bar-sur-Seine, canton de Chaource (en vertu du même décret) ; et paroisse fondée au XIIe siècle par le diocèse de Langres et réunie au diocèse de Troyes par le Concordat (15 juillet 1801).

            Des hauteurs dont il est environné, Bernon se présente de la façon la plus séduisante. L'ensemble de ses habitations, d'aspect confortable, solidement construites en pierres grises, calcaires du pays, généralement blanchies à la chaux, ou crépies au ciment tyrolien, et couvertures de tuiles ; ses rues larges et bien alignées, ses faubourgs se développent en forme de croix latine sur les versants des coteaux, couverts de vignobles et d'arbres fruitiers, son ru bordé de buissons, de saules et de hauts peupliers, qui coule en serpentant au milieu de la plaine et des prairies, et qui arrose le village, tout contribue à charmer le spectateur et à en faire un séjour agréable.

            La partie la plus importante du village se trouve sur la rive droite du ru Deniot. Elle comprend tout la superficie (d'environ treize hectares) occupée naguère par l'ancienne cité entourée de fossés et au milieu de laquelle se trouve la Grande-Rue où aboutissent toutes les autres : dans le haut, faisant fourche, les rues de la Brèche et de l'éperon ; au centre, formant carrefour dit des Quatre-Rues, les faubourgs du chemin de Vanlay et de la Fontaine, celui-ci réunissant les habitants bordant les chemins de Lignières et de Marolles ; et la rue du Four qui correspond dans le haut avec le faubourg de la Fontaine et dans le bas à la Grande-Rue, proche de l'église.

            Le territoire de la commune de Bernon est borné à l'est par les finages de Coussegrey et Prusy, à l'ouest par celui de Chessy ; au nord par celui de Vanlay, et au sud par celui de Lignières. Les seules dépendances de la commune sont : le moulin et deux maisons sises à Bois-Bureau.

            Le village est à 153 mètres d'altitude. Latitude 48° ; longitude E. 1°40' du méridien de Paris.

            Un réseau de chemins vicinaux et d'intérêt commun, relie Bernon aux pays voisins à l'exception de Turgy et Vallières qui sont encore desservis par les vieux chemins non carrossables d'autrefois.

            La population est laborieuse, de moeurs paisibles ; les crimes y sont inconnus, les opinions politiques modérées.

            Le dernier recensement fait en 1896 constate une population totale de 384 habitants, dont 197 du sexe masculin et 187 du sexe féminin, tous sachant lire et écrire. Le nombre des maisons est de 115 ; celui des ménages de 131 ; le français est la seule langue parlée dans le pays, où l'on retrouve seulement quelques vieilles expressions qui tendent à disparaître. Les habitants sont tous catholiques.

            Les impositions annuelles qui en 1789, s'élevaient à 2.621 livres 15 sous 8 deniers atteignent actuellement le chiffre de : 11 127 francs, pour la commune seulement.

            La contenance totale du finage de Bernon, d'après le cadastre exécuté en 1830, s'élève au chiffre de 1.754 h. 51 ares ; le nombre d'habitants, soit : 384, divisé par celui de 1.754 h. 51 ares donne environ 22 habitants par 100 hectares où par kilomètre carré, soit en moyenne 4 h. 55 ares par habitant. C'est ce que l'on nomme la population spécifique. Le nombre des parcelles, qui est de 6.160, divisé par celui des habitants donne 16 parcelles en moyenne par habitant et 47 par feu.

            En 1896, on a compté dans la commune : 87 chevaux et juments ; 220 vaches, 400 moutons, 80 porcs, 200 ruches d'abeilles, 1 450 poules et coqs, 207 oies, 120 canards, 100 dindons, 250 pigeons, 200 lapins.

            Les autres produits agricoles sont le bois, le vin, le blé, le seigle, l'orge, l'avoine, le chanvre, la navette, le colza et en général toutes les céréales, et les plantes sarclées ; les produits de basse-cour et de l'élevage du mouton et des vaches laitières, etc... Tous ces produits sont réputés pour leur parfaite qualité.

            A Bernon tous les habitants sont adonnés à l'agriculture ; le moulin à blanc, une scierie mécanique, une fromagerie, sont actuellement les seules industries en exploitation dans le pays.

            Quant au commerce, la commune importe des articles de ménage, d'épicerie, de librairie, de mercerie, de quincaillerie, du linge des vêtements, des chevaux, ânes et mulets, des cochons de lait, etc... ; elle exporte des bois de charpente, du charbon de bois, des pierres pour les routes, des grains, des légumes, du beurre, des fromages, du bétail, de la laine, des volailles, etc.. et en général, de tous les produits de son industrie agricole excédant les besoins de sa population.

            Le village de Bernon doit à sa situation entre deux forêts et à l'humidité légère qui flotte dans l'air de la vallée produite par un ruisseau, un air salubre, pur ; mais assez vif. Les maladies les plus fréquentes sont les affections inflammatoires, plus ou moins intenses, les pneumonies, pleurésies, inflammations d'entrailles ou d'estomac, affections rhumatismales aiguës ou chronique, amygdalites, les maladies cutanées et exanthémateuses, telles que la scarlatine et la rougeole. Aucune endémie ne peut y être signalée.

            Le sol de la commune de Bernon est compris dans la large ceinture des terrains secondaires ; il renferme deux des grandes formations géologiques ; la plus ancienne située au sud-est de Bernon est composée de terrains jurassiques représentés par deux assises distinctes : le calcaire kimméridien (terre rouges dites crayeuses) et le calcaire porlandien (grosses terres, grises bleues). En se dirigeant dans le sens de la vallée, on trouve, un peu au-dessous des sommets de chaque versant, des terrains crétacés (la craie est rouge ocre) divisés en calcaire néocomien et en argiles portant le même nom ; plus des argiles bigarrées et des terrains sableux vers les sommets. Outre ces formations anciennes, il existe dans le fond de la vallée une étroite plaine où sont déposés des terrains d'alluvions, entraînés par les cours d'eau des ravins. Les dépôts de ce terrain, de formation quaternaire, sont nommés diluvium.

            Dans la région du calcaire porlandien et du calcaire néocomien on trouve beaucoup de coquilles marines, notamment des coquillages d'huîtres, de moules, des ammonites, etc... On trouve aussi du sable blanc quartzeux, comme celui de Fontainebleau, vers les sommets, principalement aux lieux dits : Bois-Bureau et le chemin de Lignières.

            Il existe une différence de niveau sensible entre le fond de la vallée et les sommets des coteaux. Tandis que le village de Bernon est à 155 mètres environ d'altitude les sommets de coteaux environnants atteignent une hauteur moyenne de 205 mètres. C'est sur la rive gauche de la vallée que ce trouve le point le plus élevé du finage, au lieu-dit Bois-le-Roi, haut de 228 mètres au dessus du niveau de la mer, quant au ru Deniot-Mandrille, appelé aussi ru de Bernon, il quitte le territoire de la commune par environ 140 mètres. C'est l'endroit le plus bas du finage. Entre cet endroit et le sommet de Bois-le-Roi, la différence est d'environ 88 mètres.

            Le département de l'Aube appartient tout entier au bassin de la Seine. C'est donc vers ce fleuve que descendent toutes les eaux du bassin bernonnais, mais indirectement par les rivières : 1° de l'Armance, dans laquelle il se jette à quelques kilomètres au-dessous d'Ervy, entre le Mesnil, commune de Courtaoult, et Mézières, commune de Chessy ; 2° de l'Armançon dans laquelle se jette l'Armance vers Saint-Florentin ; 3° de l'Yonne qui reçoit l'Armançon vers Laroche et qui se jette dans la Seine à Montereau.

            L'ensemble du bassin bernonnais se présente comme une cuvette en forme de fer à cheval, composée de terrasses concentriques, se rattachant à l'est aux collines de Tonnerre et de la Côte d'Or, penchant légèrement au sud-ouest, et se prolongeant en ondulations parallèles jusque dans la vallée de l'Armance, avec, dans le fond, entre les escarpements, une étroite plaine au milieu de laquelle se développe le ru Deniot-Mandrille, son tributaire et son débouché hydrographique.

            Dans sa partie supérieure au-dessus du village de Bernon, l'étendue de ce bassin se développe sur environ les deux tiers du finage de cette commune, sur une partie des finages de Lignières et du Grand et Petit Virey, et sur la totalité du finage de Coussegrey, Chaserey et Prusy, le tout formant une superficie de 4 400 hectares environ. Si l'on admet qu'il tombe en moyenne, par année, sur cette surface environ quatre-vingts centimètres d'eau de pluie, dont les deux tiers seulement sont évaporés, ou assimilés par les plantes et le sol, il reste un volume de deux millions de mètres cubes, environ, d'eau qui s'écoule annuellement par les sources et le ru de Bernon ; cette chute, vers le moulin, est d'environ 80 litres à la seconde en été et à l'automne et 150 à 200 litres en hiver et au printemps, donnant ainsi une force hydraulique qu'il serait intéressant d'utiliser.1

            Tandis que les sources du ru de Mandrille, au nombre de trois principales, situées à l'est un peu au-dessus du moulin, au lieu dit les Roches, sont d'un produit constant de 80 litres environ par seconde, celle du ru Deniot étant situées en terrain jurassique très perméable, sont intermittentes et très variables dans leur rendement ; c'est ce qui occasionne la différence de volume d'eau, dans la chute vers le moulin, où le ru Deniot opère sa jonction avec celui de la Mandrille. Les sources du ru Deniot tarissent ordinairement vers la fin de l'automne. Elles sont au nombre de cinq principales, d'un produit réuni d'environ 100 à 200 litres à la seconde, selon la durée et l'abondance des pluies ; et elles sont situées : la plus haute, sur le territoire de la commune de Chaserey ; d'autres vers le bas de Coussegrey, sur le territoire de cette commune ; et les autres sur le territoire de Bernon : l'une, appelée la Douine, au débouché du ru des Vicilles-Vignes, au pied des Montaudoins ; d'autres au débouché du ru des Crolères, lieu dit le ru de Fogiot, et, enfin, celle située au lieu dit le Faubourg de la Fontaine, dans le village. Cette dernière d'un produit de 2 à 5 litres à la seconde ne tarit que très rarement.

 

 

1 -Cette force pourrait être facilement régularisée et doublée par la création d'un vaste étang réservoir de plusieurs hectares de superficie de deux à trois mètres de profondeur, dans la région marécageuse des sources de la Mandrille, au moyen d'une chaussée formant barrage au-dessous de cette région et par des digues appropriées autour de la surface à inonder. Cette chaussée aurait en outre l'avantage de relier entre eux les deux chemins d'Ervy qui existent de chaque côté de la vallée. - Les chiffres du produit des sources sont hypothétiques et non contrôlés.

 

            Le ru Deniot reçoit en outre les eaux pluviales qui n'ont pas été absorbées par le sol et qui lui parviennent par les nombreux ravins qui sillonnent les deux versants de la vallée.

            Les principaux de ces ravins, ceux situés sur le territoire de Bernon, sont : sur le versant de droite, le ru des Vieilles-Vignes, celui des Picasses, le ru dit Velu ou des Crolères, le ru des Plarciaux, et le ru Damoi, ou ru de Bois-Bureau ; et, sur le versant de gauche : les rus de la grande et de la petite vallée, ou Vallée-Mère-Grand-Prou ; le ru de la Vignotte, les rus de la Prie et le ru Becca. 1

            Quand un orage vient à fondre sur la contrée tous ces ravins grossissent à vue d'oeil et transforment en peu de temps le ru Deniot en un torrent qui parfois déborde et inonde les prairies, ainsi que toute la partie basse du village.

            Dans son parcours sur le finage de Bernon le ru Deniot-Mandrille se dirige au milieu de la plaine et des prairies dans la direction du sud-est au nord-ouest. Son lit pierreux est gréveux dans le fond, d'une largeur moyenne de trois à quatre mètres environ - au dessus de l'étiage, est irrégulier et d'un accès difficile. Depuis sa jonction avec le ru de Coussegrey, son tributaire pour la partie supérieure du bassin, jusqu'au-dessous de Bernon, vers le bas de la grande rue, proche de l'église, le lit actuel du ru Deniot a été creusé par la main de l'homme en dehors et au sud de son ancien lit naturel, lequel suivait naturellement les sinuosités du niveau le plus bas de la vallée, et réunissait ses eaux à celle du ru Fogiot qui fut également détourné de son lit naturel dans la partie inférieure vers le haut de la Grande-Rue.2

            La pêche au vairon, à la lotte (moutelle et tétard) y est très fructueuse surtout au moment du frai, au printemps ; mais, en raison du peu d'importance des produits, elle n'est guère pratiquée qu'à la ligne par les enfants, comme divertissement ; on y trouve aussi du poisson blanc dans le bief du moulin et de belles écrevisses au-dessous des sources de la Mandrille.

 

 

 

 

 

1 - Tous ces ravins ont une grande largeur et une profondeur de plusieurs mètres vers la partie supérieure de la couche argileuse qui occupe à mi-côte les deux versants de la vallée. On a attribué cet état de choses à des creusements pratiqués pour alimenter des tuileries et briqueteries dans les temps passés ; mais cette supposition nous paraît erronée. Ces creusements, exécutés par la main de l'homme, à des époques que l'on ne peut préciser, eurent pour objet deux opérations distinctes. La plus ancienne, celle où les fouilles sont plus importantes et plus profondes, notamment celles pratiquées dans les ravins des Crolères, des Plarciaux-de-Bois-Bureau, dans le ru de la Charmeure, entre Vallières, Turgy et Vanlay, les Tranchées des Places et de la montée du chemin de Turgy, etc...appartient à un système de fossés avancés autour de l'ancien oppida et du château fort qui subsistèrent longtemps sur le coteau à l'est au dessus de Bernon. La seconde, plus récente, celle où les fossés furent pratiqués dans tous les autres ravins sur l'autre versant de la vallée, comme aussi à l'entrée des chemins autour du village paraît appartenir à un nouveau système défensif du village de Bernon, qui fut aussi qualifié de Ville Clos par des fossés.

 Ce système avait pour but d'empêcher la contrebande par transport à dos d'âne ou de cheval, des marchandises passant de Champagne en Bourgogne et réciproquement sur le territoire de Bernon, à l'époque où celui-ci confinait au deux provinces. Des bureaux de perception établis à la même époque sur les marchandises, il ne reste plus de vestige. Ces postes, établis à l'entrée des chemins de pénétration aux extrémités du territoire étaient situés vers le Breuil, à Bois-Bureau, aux Bruyères ; au Son, au bas de la rue des Vieilles-Vignes et de la grande vallée, au caron de jonc, au chemin d'Ervy, etc..

 

2 - Ces travaux de canalisation, dans la traversée de la rue du Four, ont mis à jour des vestiges d'une ancienne nécropole dans laquelle ont été trouvés des cercueils de pierre gallo-romains. Au sud, attenant à ces vestiges, on remarque aussi des débris d'une ancienne construction qui paraît avoir été avoir été un monastère remontant aux premiers temps du christianisme, et qui aurait été édifié, pour se substituer à un temple païen dédié au culte des fontaines. Centre important de pèlerinages, il aurait joué un rôle prédominant dans l'Eglise  celtique. Après l'invasion des barbares il fut dirigé par des moines catholique français et devint finalement une église paroissiale. L'église actuelle qui date du XIIe siècle, aurait été érigée, non loin de là pour remplacer cet ancien temple païen, devenu catholique.

                De nouvelles fouilles pratiquées sur l'emplacement de ces vestiges par des archéologues donneraient sans doute des résultats intéressants pour l'histoire de Bernon.

                L'emplacement où gîtent ces vestiges est facile à déterminer, il suffit de semer du chènevis dans le champ qui le renferme. La mauvaise croissance du chanvre à l'endroit où ils sont enterrés sera un indice certain pour leur découverte. Nous avons fait cette remarque à chaque récolte de chanvre sur ce champ.

 

            Avec le ru de Coussegrey dans sa partie supérieure en amont au-dessus de la source de la Douine, et deux autres petits ruisseaux dont il est tributaire en aval du territoire de Bernon, savoir : le ru de l'étang de Vanlay, à droite et le ru de Lignières à gauche, le ru Deniot-Mandrille, que les géologues de l'aube désignent plus particulièrement sous la dénomination du ru de Bernon, baignent Coussegrey, Bernon, Le Breuil, la Maison-Rouge, Survannes, Chessy et Mézières où il se jette dans la rivière de l'Armance. Son parcours depuis la source de Chaserey à son embouchure vers Mézières est de 16 kilomètres, environ, et dans sa traversée sur le territoire de Bernon de 5 kilomètres.

            La contrée très accidentée et boisée, renferme toutes les variétés de la flore et de la faune du centre de la France.

            Grâce à sa situation sur la limite géographique où le sol jurassique disparaît, en partie, sous les dépôts sédimentaires argilo-calcaires et sableux de l'âge crétacé, limite qui servait autrefois de délimitation aux régions naturelles des pays pagi. La vallée de Bernon était prédestinée à servir d'intermédiaire entre les habitants de la grande plaine de Champagne et ceux des collines de Bourgogne, entre les Lingons et les Tricasses, dans l'antiquité, et entre les Champenois et les Bourguignons ensuite. La voie romaine qui passait à l'extrémité nord de l'ancien oppidum  justifie cette hypothèse.

t de s'établir sur les hauteurs a toujours été dans la suite de descendre dans les plaines sur les bords des cours d'eaux, Bernon a suivi cette tendance commune. Etablis d'abord dans la plaine des Vauguedaines, autour de l'ancien oppidum,  les habitants descendirent plus tard leurs demeures au confluent des rus Deniot et Fogiot, dans le fond de la vallée. Il en fut de même pour leurs relations politiques et commerciales qui devinrent peu à peu plus actives avec la Champagne, qu'avec la Bourgogne ; c'est sans doute ce fait qui a permis aux comtes de Champagne d'étendre leur domination sur la contrée et de l'incorporer à leur domaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DEUXIEME PARTIE

 

HISTOIRE

 

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CHAPITRE PREMIER

 

Epoque gallique et gallo-romaine

 

 

 

            Bernon possède encore des vestiges d'un très lointain passé, bien que ces souvenirs ne remontent pas au temps même de sa fondation.

Celle-ci, que la légende attribue à Zeus orageux, c'est-à-dire à l'attrait des sources qui jaillirent de son territoire, remonte, certainement, à la plus haute antiquité, comme l'ont d'ailleurs constaté les historiographes qui ont visité la contrée, lesquels ont déclaré (dans le Dictionnaire topographique de l'Aube) : "que les belles sources qui donnent naissance au ruisseau de Bernon ont, dès les temps les plus reculés, attiré les populations sur leur bords".

            Si les Berconnais avait su, comme le Breton, conserver la langue de ses aïeux, peut-être donnerait-il encore à la vallée au milieu de laquelle le village s'est groupé son nom gaélique de Bernn, que le village a lui-même retenu, et qui signifie : "joncheraie dans un terrain bas, brenneux", par opposition aux terrains secs et aux ravins desséchés qui l'entoure. Le contraste est saisissant, même encore aujourd'hui, mais combien ne devait-il pas l'être davantage il y a deux mille ans et plus quand ses nombreuses sources non encore canalisées ni dirigées dans leurs lits actuels, répandait dans tout le fond de la vallée, en ruisseaux tortueux, bordés de joncs et de roseaux, leurs eaux vives et abondantes . Divers aspects de lieux, par exemple le pré des Places, les Roches, témoignent encore aujourd'hui en faveur de cette hypothèse. Qu'on se figure l'état marécageux dans lequel se trouvait à cette époque l'emplacement de la Grande-Rue, où se réunissaient les eaux des rus Deniot et de Fogiot, et celles des ravins des Plarciaux et de la Vignotte, comme aussi celles de la source du faubourg de la Fontaine, on aura une idée de l'aspect des lieux dans cette région à l'origine.

            C'est à monsieur Leprévost, dans le dictionnaire de l'Eure, sur Bernay que nous empruntons cette étymologie et nous l'adoptons comme étant d'accord avec le bon sens, chose rare en pareille matière, et les habitants des idiomes gaulois où tous les noms de lieux faisaient image.

            D'autre part, M. l'abbé Garnier, curé de Lusigny aurait aussi défini l'étymologie de Bernon : "Bernon vient du mot celtique bernn qui veut dire ours. A l'époque celtique quelques maisonnettes s'établirent autour de la fontaine ; les habitants mirent leurs demeures sous la protection de leur dieu Bernn. Plus tard, quand la foi chrétienne remplaça la paganisme, on purifia l'endroit en y élevant une croix qui aurait subsisté longtemps et de Bernn on aurait fait Berno et ensuite Bernon".

            Cette étymologie est celle de la ville de Berne, en Suisse, ou l'emblème d'un ours est resté traditionnel ; mais il n'en est pas de même pour notre pays où il n'existe aucune tradition semblable. C'est pourquoi nous préférons adopter celle empruntée à M. Leprévost, comme étant d'accord avec les traditions des idiomes gaulois dans notre pays.

            On peut supposer aussi que Bernon viendrait du nom de Brennus dont on aurait fait ensuite Bernon. Le nom de Brennus était très fréquent dans l'ancienne gaule, et l'on sait que ce nom fut celui dans fameux général qui prit Rome en l'an 390 avant Jésus-Christ et qui était originaire des Lingonnes, dont Bernon dépendait à cette époque. Dans cette hypothèse on suppose que c'est ce général qui aurait fondé et fait fortifier l'oppidum  qui a longtemps subsisté sur l'un des coteaux au-dessus de Bernon, et auquel on aurait donné son nom. Mais nous ne croyons pas que Bernon puisse se glorifier d'avoir eu pour parrain un personnage aussi illustre, du moins il n'en existe aucune preuve.

            Voici encore, à titre documentaire, un fait qui, s'il était admis, aurait l'avantage de fournir à la commune de Bernon, pour ses armoireries, un emblème héraldique : le corbeau, rappelant un souvenir de la plus haute antiquité. D'après cette hypothèse Bernon viendrait de brannovii, dérivé de brannos, corbeau. Dans les commentaires de Jules César sur la guerre des Gaules le pays de Brannos ou du Corbeau est mentionné dans l'énumération des peuples auxquels un contingent de troupes fut imposé pour allé secourir Alésia, comme étant de la Gaule Celtique et client des Eduens. Livre VII-LXX-2 : "Imperant Hœduis atque œrum clientibus (le fait d'être client d'un peuple supposait une sorte d'alliance), Segusiavis, Ambiraveris, Aulercis, Brannivices, Brannovii : millia XXXV."  On place les Segusiavis sur la rive droite du Rhône, près de Lyon, et les Ambiravetis sur les bords de la Loire entre Eduens et les Bituriges ou entre les Senones et les Mandubii à Ampilly-le-Sec, près de Châtillon-sur-Seine ; quant aux Aulercis, Brannovices et Brannovii, on ne sait rien de ces peuples quelques personnes veulent les trouver entre la Loire et l'Yonne sur les confins des Senones, mais on peut supposer avec plus de certitude que ces peuples habitaient les vallées de l'Armançon et de l'Armance, formant deux peuples dépendant des Lignons, mais clients des Eduens. Le fait qu'il s'agit d'une région boisée remplie de corbeaux, et la quasi certitude d'une forteresse à Bernon dès cette époque, donnent un certain crédit à cette hypothèse.

            Dans les actes et documents anciens concernant notre pays, Bernon est désigné comme suit : Bernonus (cartulaire de l'abbaye de Molesme, 1097 ; et cartulaire général de l'Yonne, 1099).

            Bernun (charte de Thibaut II, comte de Troyes, 1139).

            Berno (camusat Promptuatium 1°318, vers 1140)

            Bernona (cartulaire de l'abbaye de Saint-Loup, 1148)

            Vernon (ordonnances des rois de France, tome XVI, pages 393-1465)

            Brenon (ordonnances des rois de France, tomme XVII, page 156-1468).

            Et enfin, Bernon (cartulaire de l'abbaye de Larivour, archive de l'Aube, manuscrit du 13e siècle) ; (archives communales et archives hospitalières de Chaource ; charte de l'abbaye de Quincy) ; (recueil d'aveux et dénombrements rendus au roi de France à cause de sa châtellenie de Bar-sur-Seine) ; (manuscrit de la fin du XIV e siècle, archives de l'Aube).

            Ce nom qui a traversé, sans être entamé, les civilisations romaine et chrétienne apparaît comme un témoin des premiers âges et la preuve vivante de sa destination dans la Gaule. Quelle fut cette destination ? A défaut de la tradition et de l'histoire nous avons l'induction pour nous guider et, pour étayer notre opinion, quelques épaves archéologiques échappées au naufrage des siècles, comme nous le verrons plus loin.

            Les plus anciens habitants qui se sont établis dans la contrée paraissent avoir été les Celtes ou Gaels venus à une époque inconnue des plaines de l'Asie centrale ; puis ensuite les Belges ou Kymris, qui arrivèrent vers l'an 600 avant Jésus-Christ et occupèrent tout le nord de la Gaule jusqu'à la Loire.

            Le fond fertile de la vallée de Bernon dut attirer de bonne heure les populations anciennes dès leur apparition sur notre territoire. Quelle meilleure défense que cette vallée dont les pentes et les hauteurs étaient couvertes d'épaisses forêts ? Quelle retraite plus sûre et plus à la portée de son ruisseau poissonneux et des bois giboyeux des alentours ? Ces populations trouvèrent dans les hauteurs, à proximité de la vallée, une place fortifiée par la nature, un oppidum auquel la main de l'homme n'avait que peu de chose à ajouter pour en faire un abri sûr.

            Des peuplades à demi sauvages qui l'habitèrent en ces temps reculés, aucune trace n'est venue jusqu'à nous. D'anciens usages naguère encore en vigueur dans la contrée : le feu de la Saint-Jean et celui du carnaval, entre autres exemples, la croyance aux fées, aux sorciers, la vénération des sources aux eaux desquelles la crédulité publique attribuait le pouvoir de guérir certaines maladies ou plaies, sont des traditions gauloises. Le culte que les Gaulois rendaient aux fontaines et aux arbres est un fait connu.

            Ces vestiges, ces souvenirs des âges Celtiques, annoncent que nos pays possédaient, à l'époque, la plupart des centres de population que nous voyons aujourd'hui et qui formaient un pagus, dont Langres était la capitale. L'expression Pagus est Gauloise, quoique le mot pagus soit latin . Ce fait est généralement accepté aujourd'hui.

            La France qui a vu si souvent se modifier les divisions politiques adoptées par les divers gouvernements a conservé au milieu de ces variations fréquentes les vieilles circonscriptions gauloises des pays pagi. Pourquoi cela ? C'est que les dénominations spéciales affectées à certaines contrées ou pays ont leur raison dans la constitution géologique du sol. Le bon sens des paysans a devancé ici la science, il a distingué par un mot particulier chaque étendue offrant le même aspect ou la même culture.

            Ces régions physiques forment un tout réel que mutilent souvent les circonscriptions administratives. Les différences géologiques ont pour corollaire des changements dans l'aspect du pays, dans la végétation, dans sa culture, dans la forme même des habitations, dans leur disposition isolée ou par groupe. C'est à ces différences qu'on a donné le nom de régions naturelles. Fondée sur la constitution même du sol, ces divisions en pays, ont survécu à toutes les crises politiques et persistent jusqu'à nos jours.

            Et c'est pour cela que Bernon a été compris, à l'origine, dans le pagus des Lingons1  auquel il se ramifie par ses coteaux et s'identifie par sa formation géologique et physique;

            Il est certain que le pagus a désigné sous les Gaulois une peuplade secondaire, sous les Romains un district administratif ; sous les Mérovingiens une espèce de territoire. Nous admettons, en fait, l'existence du pagus Lingonensis (le pays des Lingons), dans le cadre duquel était compris le pagus du Tornodorensis (le Tonnerrois), dont Bernon dépendait. Sous les Romains ce même pagus fut compris dans la cité diocèse et comté de Langres ; et sous les Mérovingiens dans le royaume de Bourgogne, mais sous la suzeraineté des évêques comtes de Langres, qui tenaient sans doute cette terre de la munificence des premiers rois chrétiens.

 

 

1 - Le pays des Lingons est exactement limité par les formations géologiques dans le département de l'Aube ; il renferme toute l'étendue des terrains jurassiques qui comprennent une partie du Sud-Est au Nord-Est, en suivant une ligne droite de Marolles-sous-Lignières à Soulaignes et passant par Lignières, Bernon, Chaource, Vandeuvres et Drannes (dict. top. de l'Aube).

            L'Histoire civile, politique et religieuse de Bernon, se lie donc intimement dès son origine à celle de la cité, diocèse et comté de Langres ; et, ensuite, par son inféodation, à l'histoire des comtés héréditaires de Tonnerre, de Bar-sur-Seine et de Champagne, comme nous le verrons dans la suite.

            Jules César envahit la Gaule et s'en rendit maître de l'an 58 à l'an 52 avant Jésus-Christ. Le pays des Lingons accepta l'un des premiers les lois du vainqueur. Son dévouement aux Romains le fit mettre au rang des fédérés. Le pays de sens, au contraire, ne fut jamais soumis. Les derniers dans la lutte sont du pays de Sens.

            Au temps de César le pays des Sénons est rangé dans la Gaule Celtique ; le pays des Lingons, dans la celtique  au temps de César, passe dans la Belgique sous Auguste.

            A l'époque où la Gaule fut partagée en quatre provinces ou éparchies, la Lyonnaise d'Auguste conserva dans ses limites les provinces de Sens et de langres.

            Sous Constantin le Grand de 323 à 350 furent crées les diocèses, administrés par des vicaires. Un préfet avait plusieurs vicariats sous ses ordres.

            Dans les notices des provinces et des cités de la Gaule, dressées à la fin de IVe siècle ou dans les premières années du Ve, la cité diocèse de Langres est  comprise dans la première Lyonnaise ; les cités diocèses de sens et de Troyes sont dans la quatrième Lyonnaise ou province sénonaise.

            Le christianisme se répandit en Gaule par les vallées du Rhône et de la Saône - Saint Benigne, l'apôtre de Dijon, se rendit à la fin du IIe siècle dans le pays des Lingons, et c'est à lui que l'on fait remonter l'origine de l'église de Langres dont le premier évêque fut Saint Sénateur.

            Lorsque Troyes fut devenu le siège d'un évêché, vers 340, le diocèse de Langres conserva ses limites, le cours de l'Armance, de Chaource à Coutaoult, et les affluents de cette rivière, au nombre desquels se trouve le ru de Bernon. Ce fait identifie l'origine de la contrée et de l'église de Bernon, dans le domaine du diocèse de Langres, lequel fut formé de l'ancien pays des Lingons tel qu'il existait dans la Gaule ancienne avec ses limites et l'étendue de sa circonscription administrative.

             C'est pendant L'Empire Romain que les provinces conquises virent construire ces belles et grandes routes de pénétration dont les vestiges subsistent encore (comme celle allant de Troyes à Tonnerre par Pomblin et qui passait à l'extrémité est du finage de Bernon, dans le voisinage de l'ancien oppidum dont les traces sont encore visibles) et, qu'enfin, régna sur le monde "cette paix romaine" qui, par le travail et le commerce, semait autour d'elle tranquillité et prospérité.

            Malgré tout, l'Empire tomba sous les invasions des Teutons, Huns, Asiatiques, peuples que les Romains appelaient Barbares et contre la force numérique desquels ils ne trouvaient pas assez de soldats à opposer, invasions qui amenèrent l'établissement de nouveaux peuples dans la Gaule.

            Parmi ces peuples, les Burgondes (les Bourguignons), venus du nord de la Germanie, furent les premiers qui se fixèrent sur le territoire jadis occupé par les Eduens et les Mandubiens, où ils formèrent le royaume de Bourgogne lequel engloba aussi le pays des Lignons.

            L'historien Orose représente les Burgondes comme des gens tranquilles, aux moeurs douces, vivant en bonne entente avec les Gaulois. Les Burgondes s'empressèrent d'ailleurs d'abandonner leurs religion et traditions nationales pour adopter la religion chrétienne ; mais ils suivirent la secte arienne. Nous allons voir que c'est ce qui fit le succès des Francs;

            Les Huns ne firent que passer, détruisant tout ce qui restait de la civilisation romaine. La fameuse bataille de Mauriac en 451, aujourd'hui Méry-sur-Seine, près de Troyes, chassa les Huns de la Gaule et fut, dans le pays, la dernière victoire remportée au nom de l'Empire romain, mais en réalité au profit des nations germaniques qui l'avait déjà conquise.

            Vers la fin de Ve siècle parurent les Francs. L'armée de Clovis comprenait un grand nombre de romains et, dès les fils de Clotaire, la population tout entière fut appelée à remplir le service militaire, sans distinction de race. Ce qui fut le succès de Clovis, ce ne furent pas ses victoires, mais sa conversion au catholicisme. Il reçut le baptême de la main de l'évêque de Reins; Rémi, le jour de Noël 496. Ce jour il eut l'alliance des évêques dans la Gaule entière contre les Wisigoths et les Burgondes et son règne fut assuré.

            L'empire romain avait vécu quatre siècle pendant lesquels le village de Bernon s'était développé et avait acquis une certaine importance, si l'on en juge par les vestiges qui restent de cette époque. Les cercueils gallo-romains, notamment, dont nous avons déjà parlé, attestent la présence et l'inhumation dans le pays de personnages comme il ne s'en rencontrera plus dans la suite.

            Tous les  auteurs de l'antiquité s'accordent à reconnaître aux Celtes la bravoure, le goût de l'éloquence, l'esprit d'initiative (Hurtius 73 ; Strabon IV, 4, etc...). Mais d'autre part, ils s'accordent aussi sur leur jactance et leur présomption. Téméraires à braver le péril, les revers les abattaient. César signale (IV, 5) comme "infirmité des Gaulois", leur mobilité et leur goût du changement. Ils aiment, dit-il, les combats et les discours captieux. César nous dit aussi qu'ils adoraient Apollon, Jupiter, Minerve, mais surtout Mercure. Malheureusement il ne nous dit pas l'équivalent gaulois du nom latin.

            Oppidum gaulois. -  Pendant la période de l'indépendance gauloise, le pays des Lingons faisait partie de la confédération gaélique et confinait aux puissantes peuplades des Séquanes et des Sénons. Vers la fin de cette époque, la Gaule était divisée à propos d'une misérable question de suprématie, par les luttes fratricides et d'autant plus insensées qu'elles préparaient le triomphe des armes romaines. Les Eduens en guerres continuelles avec les Arvernes et les Séquanes (les habitants de L'Auvergne et de la Franche-Conté), leur rivaux en prépondérance, durent non seulement garder leur frontière mais aussi occuper militairement tous les points importants de leur vaste territoire, et ceux de leurs clients. Les coteaux de la vallée de Bernon placés aux avant-postes des collines de Tonnerre, et gardiens de la vallée chemin ordinaire des invasions des Sénons, devinrent forcément des points stratégiques et l'un d'eux fut le siège d'un de ces oppida, grossiers mais formidables, qui hérissaient alors le sol gaulois. Cet oppidum faisait partie d'une ligne continue d'ouvrages de défenses qui dominait d'après un plan si bien étudié de nos jours, les crêtes des montagnes, l'entrée des vallées, les voies et les rivières.

            Autour de Bernon tous les points culminants en étaient surmontés : à l'ouest Ervy ; au sud Lignières et Tonnerre, qui, probablement rayonnait vers Langres, chef lieu de la cité des Lingons. C'est alors, quand l'ennemi menaçait les frontières, que s'allumaient sur toutes les crêtes ces signaux de feu dont la tradition est arrivée jusqu'à nous et que les populations menacées accouraient des versants et des plaines chercher abri sur ces sommets peu accessibles et fortifiés.

            Castrum romain. - Après la chute définitive de la nationalité gauloise, Rome eut à consolider sa conquête qu'ébranlaient encore quelques convulsions désespérées. Imprimant aux ouvrages précaires des vaincus un caractère de stabilité plus en rapport avec l'avenir probable de sa domination, elle couvrit alors le sol conquis d'un réseau de forts, de tours, etc... Les vainqueurs, acceptant naturellement tous les points indiqués par la stratégie gauloise, ceux surtout où des travaux de castramétation leur épargnaient du temps et des fatigues, ne durent pas négliger l'oppidum dominant la vallée de Bernon, lequel fut transformé par eux en un castrum, puisque leur mot castrum s'appliquait à tous les ouvrages de défense.1

            Si l'on examine objectivement en détail et avec attention, l'emplacement de cet ancien camp retranché dans la plaine sablonneuse de Vauguedaines, entre les chemins de Turgy et Vallières, derrière l'ancien château fort, jusqu'à l'ancienne voie romaine qui la traverse au nord-est ; puis l'importance des fossés et tranchées pratiqués aux alentours, dont les vestiges subsistent encore, et qui ont été en partie indiqués précédemment, dans une note concernant la description des ravins où ils furent pratiqués, on est forcé d'admettre qu'il y à eu là, sur cet emplacement, un camp retranché important, établi selon la méthode romaine, succédant probablement à un poste militaire gaulois de moindre importance.

            Il est donc acquis pour nous que cet emplacement fut, avant et pendant l'occupation romaine, le siège d'un camp retranché gallo-romain, témoin probable de plus d'une sanglante péripétie.

            Epaves archéologiques. - Notre opinion n'est pas une simple hypothèse. L'existence d'un oppidum gaulois au-dessus de Bernon, à peu près démontrée par une induction qui nous semble logique, se trouve confirmée par les traces encore visibles et incontestables du séjour des gaulois dans notre vallée. Ainsi que nous l'avons dit déjà, des cercueils de pierre, grossièrement taillés, de l'époque gallo-romaine, ont été trouvés dans un champ dépendant de l'ancien domaine féodal, aboutissant à l'ouest de la rue du Four, non loin de l'église, et l'on voit encore aujourd'hui, les fondations d'un pan de mur de clôture de l'ancienne nécropole où furent trouvés ces sarcophages ainsi que des débris d'une ancienne construction attenant à cette nécropole, que l'on suppose avoir été un temple païen qui fut dans la suite transformé en monastère catholique. Les fragments de ce mur et de cet ancien édifice sont considérés comme étant de l'époque gauloise. L'ancienneté de ces vestiges se trouve confirmée par la canalisation du nouveau lit du ru de Bernon passant par cet endroit, canalisation qui parait avoir été faite postérieurement à l'époque romaine, vers le XIIe siècle.

            De même il existe, encore aujourd'hui, des tronçons d'une ancienne voie romaine, dont nous avons déjà parlé, allant de Troyes à Tonnerre par Pomblin, et traversant l'extrémité du finage de Bernon, dans le voisinage de l'ancien camp romain, section E du cadastre, 1re feuille et limitant le finage, 2 me feuille.

            Il existe également des substructions importantes de l'ancien castrum, transformé dans la suite en château fort sous le règne féodal, substructions qui, en raison de leur composition et de leur solidité, paraissent appartenir à l'époque gallo-romaine.

            Ainsi, pour nous résumer, ce sont les Gaulois qui, en occupant militairement les premiers l'un des sommets de nos coteaux, lui donnèrent sont individualité ; c'est aux Gaulois, seuls, que notre vallée et par conséquent notre village, doivent ce nom de Bernon auquel le conquérants romains ne firent qu'ajouter, pour ainsi dire, la livrée latine.

 

 

 

                1 - Le camp romain de Bernon affecte la forme rectangulaire, d'une longueur de 700 mètres et large de 400 mètres environ. Il est couvert, au sud, par la vallée et le ru de Bernon, au nord par la vallée et le ru de la Chameure entre Vanlay, Turgy et Vallières et sur les autres côtés par des ouvrages de défense consistant en fossés, tranchées et radoutes pratiqués dans tous les ravins et chemins situés sur le versant de droite de la vallée de Bernon. Ce camp était desservi par la voie romaine qui passait à l'extrémité nord-est de son emplacement ; il était entouré de bois, excepté du côté de la vallée sud.

                Le plan est celui des camps permanents de l'époque d'Adrien. Il semble être resté debout jusqu'au ravage des Vandales au Ve siècle, époque à laquelle il fut détruit. Plus tard vers le XIIe siècle, les seigneurs de Bernon firent élever sur le même  emplacement le château fort nobiliaire qui remplaça l'ancien castrum gallo-romain.

 

CHAPITRE II

 

Epoque franque

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            Les limites des divisions politiques sont difficiles à saisir du Ve au Xe siècle en raison de leur mobilité, si l'on s'en tient au pagi, c'est-à-dire aux régions naturelles dont il est parlé dans les textes mérovingiens et carolingiens.

            L'ancienne Gaule, le France, alors ruinée, peu habitée, ne trouve plus de noms que dans l'orientation. L'Est devient l'Austrasie et l'Ouest, ou le non Est, la Neustrie. En ce temps là il n'y avait pas de frontière. Un siècle ne s'était pas écoulé depuis la fameuse bataille de Mauriac (451) que Clovis, roi des Francs, s'emparait de la plus grande partie de la Gaule. lors du partage des possessions de leur père par les fils de Clovis, la Champagne fut attribuée au royaume d'Austrasie ; mais Langres fit partie du royaume mérovingien des Burgondes.

            Adrevsal, moine de Fleury, dit dans son livre des miracles de Saint Benoist, que Tornodorus (Tonnerre) était un château de la Bourgogne sur la rivière d'Armançon "Castrum Burgondiae partibus in latere montis supra fluvium Hermensionum". Il ajoute que ce lieu avait donné son nom au pays voisin1 "adjacenti regioni nomen indidit mamque à Tornodoro vicina regio Tornodorensis dicitur". Enfin, il dit que ce pays était gouverné alors par un vicomte et que ce vicomte ou lieutenant devait être sous le comte de Langres dont Tonnerre dépendait.

            Pendant cette longue période qui date de la conquête de la Gaule romaine par les Germains et qui finit à l'avènement de la seconde race de nos rois, Bernon reste plongé dans la plus profonde obscurité, son existence n'est révélée par aucun document. Néanmoins il reste acquis pour nous que vicus gallo-romains, trouvé à l'origine, subsista pendant tout le moyen âge ; il faudrait donc voir dans ce village un ancien municipe romain respecté par la conquête germanique.

            .Du Cange nous apprend qu'on entendait par vicus un "castrum sine munitione murorum". C'est-à-dire une réunion d'habitations non entourée de murs, et il ajoute : "vici suni castelli et pagi qui nulla dignitate civitatis honorantur sed vulgari hominum cœtu incoluntur et civitatibus attribuuntur".

            D'après cette interprétation, Bernon était alors un village sans fortification, médiocrement habité, comme tous les villages d'ailleurs, et dépendant d'une ville importante.2

            Le domaine des deux premières races de nos rois se composait de l'ancien fief impérial romain tel que l'avaient possédé les empereurs dans la partie de la Gaule qui forme aujourd'hui notre pays. La conquête avait eu cela de particulier qu'elle avait assuré aux souverains de la Rome antique la propriété exclusive des territoires arrachés à l'ennemi. Cette propriété était la consécration du droit de conquête, c'est-à-dire la négation du droit légitime aux prises avec la force et vaincu

 

1- Le pagus de Tonnerre touchait aux pagi de Sens et de Troyes. D'après quelques auteurs ses limites extrêmes au nord étaient Chassy, Bagneux, etc...

 

2- Par le mot civitas on entendait alors, non seulement l'enceinte et le territoire de la ville à laquelle il s'appliquait mais encore les pagi qui en dépendaient. Le nom de pagus qui signifiait primitivement une montagne, une colline abrupte, où les populations rurales pouvaient se retirer en temps de guerre, fut donné par la suite au village et enfin au district ou canton dont ce village était le chef-lieu. Ainsi le pagus Tornodorensis (le Tonnerrois) avait à cette époque pour chef-lieu le vicus Tornodoro (Tonnerre) dont Bernon dépendait ; et Tonnerre dépendait lui-même de la cité diocèse et comté de Langres.

 

par elle. Mais, dans ces territoires, pour que le droit fût effectif et réel, il fallait établir des représentants ou officiers du pouvoir impérial, les uns investis temporairement et sous condition de révocabilité à volonté, les autres, revêtus de charges à vie héréditaire et transmissibles1. Ces derniers s'étaient trouvés substitués à l'autorité impériale elle-même ; ils en exerçaient toutes les prérogatives ; en un mot, ils étaient les maîtres, les seigneurs des pays dans lesquels ils étaient établis. Les charges ou les droits dont ils avaient été investis, étaient le plus souvent la récompense de services militaires rendus à l'état ; c'était aussi le résultat de faveurs particulières ou d'usurpations accomplies dans les temps de l'Empire pendant l'anarchie qui s'était introduite dans l'administration de la Gaule à l'époque de l'invasion des Barbares.

            Possesseurs de vastes domaines, dont ils ignoraient souvent les ressources et l'importance, les premiers Mérovingiens et plus tard les Carolingiens en démembrèrent des territoires entiers pour en doter de fidèles serviteurs ou des établissements religieux. Comme nous l'avons vu pour le diocèse de Langres, qui était devenu propriétaire de l'ancien pagus des Lingons dont furent formés, plus tard, avec une partie, les comtés de Tonnerre et de Bar-sur-Seine, ainsi que la baronnie d'Ervy dès le temps de Charlemagne. Ces concessions de bénéfices se multiplièrent à l'excès sous les noms d'alleux, de comtés, de vicomtés, de seigneuries, sous le règne des Carolingiens, surtout à partir du capitulaire de Kiersy-sur-Oise, en l'an 877, qui consacra l'établissement du régime féodal et fit passer dans le domaine légal une révolution territoriale qui était accomplie, en fait, depuis longtemps.

            Dès le XIe siècle on voit apparaître dans les actes publics les possesseurs des seigneuries rurales, mais on doit tenir pour certain que leur possession ne datait pas seulement de cette époque ; ils devaient être les successeurs et descendants des chefs militaires établis dans le pays au moment des invasions des Barbares. Ces premiers possesseurs sont ce qu'on est convenu d'appeler les seigneurs autochtones dont la descendance masculine ne s'est pas perpétuée, en général, au delà des XIVe et XVe siècles.

            Le document le plus ancien à notre connaissance où Bernon se trouve mentionné ne remonte qu'à 1097 ou 1099. C'est la notification par laquelle l'évêque de Langres confirme à l'abbaye des Bénédictins de Molesme la fondation faite par Guy d'Aspu et ses frères, des droits d'alleu qu'il avait sur le territoire du Tornodorensis (le Tonnerrois), sur le château lui-même de Tornodoro (Tonnerre), sur le village qui est appelé Bernonus (Bernon). Non seulement il concède aux moines de Molesme ses droits de propriété sur les trois lieux ci-dessus dénommés, à savoir, partout où il possédait quelque chose, les serfs, les servantes, les terres cultivées ou incultes qui se trouvaient dans ses vignes et ses forêts, mais encore le moulin près de Grisy.

             En marge d'une écriture du XVIIe siècle on lit : en 1097 ou 1099. Cartulaire de Molesme, tome 1 fol. XX, 2°.

            Cet acte écrit en latin, est reproduit in extenso dans le tome II du cartulaire de l'Yonne de Monsieur Quantin (pages 26-27). L'original en est conservé aux archives de la Côte-d'Or. C'est d'après ce document que MM. Boutiot et Socard ont compris le village; appelé Bernonus, c'est-à-dire Bernon, dans leur dictionnaire géographique de l'Aube. Quoiqu'il n'en soit pas fait mention dans l'acte, il est certain que Bernon possédait à l'époque un poste militaire et de télégraphie optique par

 

1- Ces charges comportaient la prise de possession du tiers des terres en général, dans chaque village. De ce tiers furent formés et se sont perpétués dans la suite au moyen âge, ces domaines féodaux sont nous avons un exemple dans celui de Bernon, dépendant du domaine de Tanlay, ces vassaux jouissaient des droits utiles de ces seigneuries sous la seule obligation de redevances purement honorifiques.

feux, qui correspondait avec le château de Tonnerre dont il dépendait 1 .

            Les droits d'alleu, c'est-à-dire de propriété, concédés par Guy d'Aspu et ses frères à l'abbaye de Molesme-sur-Bernon, ne comportaient sans doute que le domaine féodal dont les possesseurs devaient être les successeurs et descendants des chefs militaires établis dans le pays au moment des invasions Barbares 2. C'est une seigneurie rurale qui dépendait de la terre de Tanlay, dans le domaine ecclésiastique de Saint-Vinnemer, et qui provenait originairement du diocèse et comté de Langres.

            Cette terre mouvait en fief, foi et hommages, par sous-inféodation, d'abord des comtes de Tonnerre et de Bar-sur-Seine, ensuite des comtes de Champagne, mais sous la suzeraineté des évêques comtes de Langres.

            Précis historique de la cité diocèse et comté de Langres.

            - Langres fut en état de république jusqu'au ravage des Vandales, c'est-à-dire jusqu'en 407 de la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cette ville, prise par les Barbares, est demeurée dans la Bourgogne et sous le gouvernement des Hendins ; ensuite des rois de France et de Bourgogne alternaient. Sous le règne de Louis VII, l'évêque de Langres, Gauthier de Bourgogne, craignant de tomber sous la dépendance des comtes de Champagne, donna son comté au roi de France (1179). En retour Louis VII donna à l'évêque le titre de Duc et, comme les évêque de Langres étaient déjà admis, depuis le règne de Louis VI, parmi les pairs ecclésiastiques, le duché prairie de Langres se trouva ainsi constitué. Depuis se temps, et même déjà auparavant depuis le règne de Louis VI, la ville de Langres a toujours été la régie du gouvernement de Champagne et de Brie jusqu'à son extinction.

(Histoire du diocèse de Langres, par l'abbé Demangin.)

 

Dans le même ouvrage se trouve la note ci-après :

Tome I, page 288, note pour l'abbaye de Molesme.

Les annales eccl. en font mention en 796.

            Le nom de cette abbaye est dérivé par corruption d'un monastère assez illustre qui fut appelé autrefois Melundenfa, d'un village situé dans une petite vallée appelée Melundis. Il a même retenu ce nom après qu'il fut transféré auprès du village de Saint-Martin, distant d'environ trois lieues de la première position, à une lieue au-dessus de Tonnerre sur la rivière d'Armançon d'où il fut appelé quelquefois le monastère de Saint-Martin, quelquefois sous l'invocation de Saint-Pierre. Ce fut Etienne Nicey, abbé de Tonnerre, qui fit cette translation après que le monastère fut détruit dans la guerre des Anglais. Il était dans sa position d'origine, de l'ordre de Saint-Benoist sous le nom et la protection de la Sainte-Vierge :

            Il est donc situé dans la         Bourgogne à une lieue environ de la ville de Tonnerre, dans le domaine de Saint-Vinnemer auprès de Tanlay.

            Nota - En dernier lieu le monastère de Molesme se trouvait établi à trois lieues de Châtillon-sur-Seine sur la rivière Leigne.

 

 

 

 

 

 

 

1 - D'après une vieille tradition qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours, on dit que les dames de Bernon correspondaient autrefois par feux de joie, avec les dames de Lignières, ce qui fait supposer que cette coutume provenait des anciens usages de télégraphie optique par feux pour correspondances militaires ou autres par les anciens seigneurs avec leurs vassaux.

                Cette coutume existe encore à Bernon pour les feux du carnaval que les jeunes gens vont brûler sur la hauteur du chemin de Vanlay, non loin de l'ancien château fort.

 

2 - Cette donation paraît avoir donné naissance et servi de base au nouvel état de choses qui s'est produit à Bernon, à partir de la même époque, savoir : la fondation au XIIe siècle par le diocèse de Langres d'une église paroissiale et l'établissement d'un  monastère et d'une seigneurie avec le fief du vidame ; ce fief et la seigneurie rurale qui demeurait attachée étant d'origine féodale, suivit le sort de la terre de Tanlay dont il dépendait, dans le domaine ecclésiastique de Saint-Vinnemer.

CHAPITRE III

 

Epoque féodale

 

 

            La durée de la société féodale va du Xe au XIVe siècle. Jusqu'au XIe siècle elle se forme et se constitue ; au XIe siècle elle est toute puissante. Dans les XIIe et XIIIe siècles, malgré les progrès de la royauté et l'émancipation de la bourgeoisie, son principe est toujours la base de la société.

 

            Système féodale. - On sait que la féodalité, née au moyen âge de la conquête de l'Empire romain par les Barbares, consistait dans une espèce de confédération de seigneurs investis chacun d'un pouvoir souverain dans leurs propres domaines, mais inégaux en puissance, subordonnés entre eux et ayant des droits et des devoirs réciproques ; on sait encore que l'établissement de la féodalité fut la conséquence de concessions territoriales (bénéfices ou fiefs), faites par un chef à ses compagnons d'armes ; que primitivement ces bénéfices étaient amovibles ou viagers, mais que, par suite de l'usurpation des seigneurs, ils devinrent à peu près tous héréditaires vers la fin du IXe siècle ; on sait enfin que la création des communes, en fournissant aux rois un auxiliaire contre la puissance des grands vassaux, les croisades en forçant les seigneurs d'engager à la couronne les domaines qu'ils purent racheter, portèrent les premiers coups au système féodal, que Louis XI et Richelieu en firent crouler l'édifice, mais qu'il fallut la tempête révolutionnaire pour en engloutir jusqu'aux derniers débris.

 

            Féodalité ecclésiastique. - Le clergé, autrefois défenseur de la cité, en était bien souvent devenu le comte par usurpation traditionnelle ou par expresse concession des rois qui avait réuni, comme à Langres, l'autorité politique à l'autorité spirituelle, ce qui faisait de l'évêque le suzerain de tous les seigneurs da son diocèse. Outre ses dîmes, l'Eglise possédait, grâce aux donations des fidèles, des biens immenses. Cette féodalité ecclésiastique fut si nombreuse, su puissante, qu'en France elle posséda, au moyen âge, plus du cinquième de toutes les terres.

            Les évêques de Langres possesseurs de biens considérables et dans l'impossibilité de les garder par eux-mêmes, les donnaient soit en fief, soit à titre de précarium, à quelques puissants seigneurs du voisinage qui les transmettaient souvent aux autres, par sous-inféodation.

            C'est ainsi que nous voyons, dès les Xe et XIe siècle, se former et se détacher du domaine de l'église de Langres, les comtés de Tonnerre et de Bar-sur-Seine ainsi que la baronnie d'Ervy. Dès le temps de Hugues Capet (996), Milon était comte de Tonnerre et de Bar-sur-Seine et seigneur également de la baronnie d'Ervy.

            Le fief de Bernon, qui dépendait originairement du comté de Tonnerre, passa, vers la même époque, dans celui de Bar-sur-Seine.

            Le comté de Bar-sur-Seine fut crée l'an 1002 ou 1003. Il eut pour premiers possesseurs les sœurs Erviss et Azeka. Ces deux sœurs, qui étaient fort riches, se sont mariées avec les enfants de Milon II, comte de Tonnerre, tous deux comtes de Tonnerre après leur père et comtes de Bar-sur-Seine par alliance. Le comté de Bar-sur-Seine ne fut pas longtemps réuni à celui de Tonnerre. Comme anciens possesseurs des deux comtés réunis, on cite Milon III, Milon IV et Hugues Renaud.

            Voulant remédier aux abus qu'occasionnait la réunion des deux comtés, nous voyons Milon IV, comte de Tonnerre et de Bar-sur-Seine, réunir la plupart des seigneurs desdits comtés pour s'entendre avec eux sur le droit de parcours ; il veut en faciliter l'usage, il veut en régler les limites.

            A la suite de cette réunion est publiée une nouvelle charte (1198), applicable aux laboureurs, vignerons, moissonneurs et faucheurs de tout le pays entre Tonnerre et Bar-sur-Seine. Chacun d'eux peut aller à ses champs et en revenir avec bestiaux, charrues et autres instruments aratoires sans être arrêté ou enlevé.

            Cette charte consacra la délimitation des deux contrés, et Bernon fut compris dans le conté de Bar-sur-Seine.

            Les descendants de Milon jouirent de ce conté pendant deux cents ans. Thibaut 1er, roi de Navarre et comte Champagne l'acheta aux héritiers, et sa maison l'a conservé depuis environ 1230 jusqu'à son extinction.

            Les anciens seigneurs de Bar-sur-Seine avaient un territoire universel, toute l'étendue du fief leur appartenait en plein domaine. Là, comme ailleurs, le seigneur s'était procuré des vassaux en sous-inféodant certaines parties de ce domaine à d'autres seigneurs, et des tributaires en concédant le surplus à des serfs ou colons.1

            La coutume de Troyes, pays resté, comme on disait alors, dans sa liberté naturelle, était allodiale, c'est-à-dire que les héritages y étaient réputés francs de toutes charges, à moins de preuves du contraire. La coutume de Bar-sur-Seine, enclave de la Champagne, devait l'être également. Les rapports du seigneur avec ses colons étaient réglés par une coutume.

            Le chapitre de Langres était curé primitif du comté de Bar-sur-Seine. A se titre il levait les dîmes sur les grains, vins, légumes, navette, une gerbe sur vingt et sur vingt muids, un de la mère goutte. Il en était de même sur le chanvre et la laine. C'était un droit concédé par Manassès, évêque de Langres.

            Le territoire de la seigneurie de Bar-sur-Seine comprenait un grand nombre de fiefs, les uns nobles, avec haute, moyenne et basse justice, les autres roturiers. Cette terre mouvait en fief, foi et hommage directement du comte de Champagne à cause de sa grosse tour de Troyes, mais sous la suzeraineté des évêques de Langres.2

            Nous en trouvons la preuve dans un extrait de l'aveu du dénombrement, du duché de Langres fourni à Louis XI par Guy Bernard, évêque, le 23 novembre 1464, dont voici un résumé :

            "Nous reconnaissons à cause de nos évêché, duché, prairie, être homme lige de notre roi, duquel nous tenons ce qui suit : la ville et cité de Langres, etc... Le comte de Champagne tient de nous, les châteaux, villes et seigneuries de Chaumont, Bar-sur-Seine, etc. Le comte de Tonnerre tient de nous ledit comté chastel et ville de Tonnerre et les fiefs qui en dépendent."

            Par le traité d'Arras, en 1482, le comté de Bar-sur Seine passe à la Bourgogne ; mais Louis XI, peu après, fait rentrer le comté dans la domaine de la couronne. Dans un ordonnance (1465), il est dit que : "la châtellenie d'Ervy, au diocèse de Langres, comprenait, à savoir : Chassy, Veuloy, Seronte, Lignières, Vernon (Bernon), Aureuil, Verilay, Targy, Avemoyne, lesquelles paroisses sont des aides et recettes d'Auxerre". Dans une autre ordonnance du 14 octobre 1468, portant règlement pour l'imposition foraine des marchandises qui passent en Bourgogne, Louis XI, sur la réclamation du duc de Bourgogne (Charles le Téméraire), son neveu, fit rentrer la paroisse de Bernon dans la chastellenie de Bar-

 

1- Dans un dénombrement des fiefs qui existaient dans le ressort en 1378, on voit figurer ceux ci-après : 9, Bernon, 31, Lignières, etc.

2 - On voit dans plusieurs actes d'évêque de Langres faire abandon de ses droits d'homme vivant et mourant, notamment sur des labourages situés à Marolles, Coussegrey, Bernon, acquis par les Ursulines de Tonnerre.

sur Seine "comme étant fief, guet, garde et retrait dudit Bar-sur-Seine 1 ".Mais peu après, le même roi fit rentrer ladite paroisse de Bernon dans la chastellenie d'Ervy.

            Après la mort de Charles le Téméraire, le 5 janvier 1477, sous les murs de Nancy, Louis XI s'empara du duché de Bourgogne, comme d'un fief masculin, malgré les protestations de sa nièce, et sa "chère filleule" Marie de Bourgogne, fille unique et seule héritière du duc. En ce prince s'éteignit la seconde maison de Bourgogne et le duché fut réuni à la couronne de France en 1478.

            Cette réunion du duché de Bourgogne à la couronne, après celle du comté de Champagne en 1361, mit fin à la rivalité des gouvernements des deux provinces. Cela fut un bienfait pour Bernon qui, confinant à ces deux provinces et ayant appartenu tantôt à l'une tantôt à l'autre, fut longtemps exposé aux incursions et aux luttes des deux gouvernements rivaux, notamment durant la ligue. Cette rivalité ne cessa d'ailleurs complètement qu'après l'abolition du régime féodal en 1789 par la perte de leur autonomie et leur confusion dans le domaine de l'état.

 

            Comté de Champagne. - Nous avons vu que Thibaut 1er, roi de Navarre et comte de Champagne, acheta le comté de Bar-sur-Seine aux héritiers de Milon et que sa maison l'a conservé depuis environ l'an 1230 jusqu'à son extinction. A partir de cette époque, l'histoire de Bernon est liée si intimement à celle du comté de Champagne, qu'il n'est plus possible de l'en séparer. A cette époque, en effet, Bernon n'est plus une simple bourgade ayant son existence indépendante ; il est le siège d'une seigneurie qualifiée de fief et d'un château fort, mouvant en fief, foi et hommage, directement des comtes de Champagne, mais sous la suzeraineté des évêques de Langres.

            Or, le comté de Champagne, comme tous les grands fiefs, se composait de deux sortes de biens territoriaux : les pays d'obédience ou allodiaux, et les fiefs. Etaient pays d'obédience, les localités ou le comte possédait la seigneurie immédiate ; étaient fiefs, celles dont il n'avait que la suzeraineté. Les pays d'obédience étaient divisés en chastellenies et prévostés qui avaient chacun, pour chef-lieu, le principal centre de la population de la circonscription, où se trouvait une forteresse qualifiée de château, à l'exclusion des autres forteresses du même district (comme celle de Bernon, par exemple qui, quoique qualifiée de château, n'a jamais été le siège d'une chastellenie, ni prévosté).

            Les comtes de Champagne, à partir de Henri 1er, firent tenir par écrit l'état des vassaux qui leur rendaient hommage. Le premier volume était connu sous le nom de Fœoda Campania, ou premier livre des vassaux de Champagne. Il pouvait se diviser en six registres correspondant au règne de Henri 1er  (1152-1201) ; 2,3,4,5 à la régence de Blanche de Navarre (1201-1222) ; 6 à Thibaut IV (1222-1253). Dans le cinquième registre figurait cette mention : f° 368, de Castro Theodorici. Le second volume était le registre des hommages faits à Thibaut V (1256-1270).

            Sous ce titre : Hœc sunt castella jurabilia et reddibilia et domus similer, dont voici le sens, sinon la traduction exacte : "les châteaux et maisons fortes doivent être évacués par ceux qui les occupent et toute leur famille, quand cela plaira au maître", figurait au deuxième registre, fœoda Campania, f° 85 v°, la paragraphe suivant :

 

1 - Toute ville ou bourg sans fortifications était à la merci des écorcheurs, éperviers de Bourgogne, contadours, fendeurs, lansquenets, malandrins, paillers, routiers, reîtres, rustres, soudoyers, tard-venus, tondeurs, etc... On est effrayé en parcourant cette liste de bandits qui vivaient d'audace et de pillages.

C'est sans doute pour se défendre contre ces bandits, qu'on a vu à Bernon s'élever et se former autour et aux abords du village principalement à l'entrée des chemins de pénétration, ces fossés et ces murs renforcés ça et là, quelques vestiges, par exemple à l'entrée du chemin de Vanlay, l'enclos de la Bombarde ; et tous ces enclos de murs en pierres sèches autour des jardins, formant des redoutes et moyens de défense contre un coup de main des ennemis du dehors.

            200-XXXIII : Domus Theodorici de Bernon, c'est-à-dire maison forte de Théodore de Bernon.

            Outre les registres Fœoda Campania il existe plusieurs actes où il est fait mention des anciens tenanciers du fief de Bernon comme vassaux des comtes de Champagne. Voici l'énumération de quelques-uns de ces documents :

            1 - Liste des conseillers d'Henri 1er et indiquant les années extrêmes où ils paraissent dans les actes des comtes de Champagne.

                        1152-1178 - Gauterius (Gauthier), de Bernon figure sur cette liste comme vassal du comte, quoique n'étant pas indiqué dans le rôle des vassaux.

            2  - Du 4 avril 1176 au 23 avril 1177, Henri 1er constate des donations faites à l'abbaye de Larivour par Hugues le Sec et par Guiard de Bernon (cartulaire de l'abbaye de Larivour, archives de l'Aube, manuscrit du XIIIe siècle).

            3 - 1223 - Thibaut IV déclare que Guillaume de Bernon épousant Luquette, fille d'Eudes de Florence, lui a donné en douaire la moitié de ses biens ; que, de plus, Guillaume a assigné à Luquette, en garantie de 200 livres reçues d'elle en mariage, la moitié de la terre qu'il tient de Thibaut.

            4 - Sous le règne de Thibaut V, en mai 1258 (sous le gouvernement de Champagne, l'année commençait à Pâques qui, cette année-là, était le 24 mars), par devant Jean, doyen de Saint-Vinnemer, Hugues vicomte de Lignières, et Marie sa femme, cèdent à Th... leur maison de Sivrey ; ils reçoivent en échange le château de Bernon et les dépendances, à la réserve du bois dit de la Haie de Cropet.

            5 - En copies du XVIe siècle , les actes suivants :

                        À - 1243. Charte de Guillaume, doyen de Tonnerre, et Jacques doyen de Saint-Vinnemer, faisant savoir qu'Etienne de Bernon, damoiseau, a approuvé la donation faite par son frère Miles, curé de Percey, aux religieuses de Saint-Michel de Tonnerre, de tout ce qu'il possédait dans les bois de Sorberay (bois de Lignières). Il y ajoute, pour son compte, une rente, deux setiers de grain, l'un de froment et l'autre d'orge, à prendre sur ses tierces.

                        Á - 1234 - Charte de Barthélemy, abbé de Saint-Michel de Tonnerre relatant la vente faite par la dame de Bernon et ses deux fils Etienne et Miles, de tout ce qu'ils possédaient sur le territoire de Valéria (Vallières), excepté le serf Alerme et sa famille, à Eudes de Vanlaîo (Vanlay) et à sa femme Luquette, leur vie durant ; après leur décès, l'objet de la vente reviendrait à ses anciens possesseurs.

 

            Les comtes de Champagne sont devenus rois de Navarre. La succession tombant en quenouille, est par mariage, réunie à la couronne de France (1361), mais de fait elle est démembrée entre les prétendants de diverses époques à cette succession. Aussi au XIIIe et au XIVe siècle, voit-on se former et se détacher du domaine, le comté de Brienne, les villes et chastellenie de ... enfin celle d'Ervy qui comprenait à cette époque la paroisse de Bernon dans son ressort.

            La baronnie d'Ervy était une mouvance dont les comtes de Champagne étaient propriétaires depuis l'établissement des comtés héréditaires. Ce fut Thibaut III qui en affranchit les habitants en l'an 1199.

            Dans une charte de donation, en date de 1134, il est question de la présence de Milon d'Ervy (Milo de Herviaco). Dans une autre sans date, vraie ou fausse, dont l'abbaye de Quincy conservait une copie vidimée de 1312, Henri, comte de Champagne, loue et confirme une aumône faite aux religieux de Quincy, du fief du Breuil près d'Ervy, par Milo de Herviaco du consentement de Milon son fils 1

            La baronnie d'Ervy était plus souvent réunie à la seigneurie de Saint-Florentin dont elle suivait le sort. Détachée par Henri II du bailliage de Troyes pour relever directement de Parlement de Paris, comme chambre des Pairs, elle fut confirmée dans ce privilège en 1665.

            Les autorités qui étendaient leur juridiction sur les affaires civiles et judiciaires avant 1789, se composaient d'un bailli, d'un lieutenant de bailli, d'un procureur fiscal et d'un garde-sel.

            En 1704, le fief féodal de Bernon passe avec la terre  de Tanlay, entre les mains de Jean Thevenin, premier secrétaire du roi. Depuis cette époque, nous voyons les chefs héréditaires de la maison de Tanlay, prendre le titre de seigneurs de Bernon, Vanlay, Avreuil, etc.

            En dehors des noms ci-dessus indiqués dans les actes et les registres des vassaux de Champagne, la généalogie des seigneurs de Bernon nous est inconnue.

            L'hôtel de la seigneurie, remarquable par sa construction comportant un étage et par ses fenêtres étroites et grillagées, était une habitation particulière du représentant du seigneur. Cet hôtel, situé à droite dans le haut de la Grande-Rue, à l'entrée de la rue de l'Eperon, subsiste encore aujourd'hui. Quoique n'étant pas qualifiée de château, il y a apparence que cet hôtel, dont la construction paraît très ancienne et dans le style des anciens manoirs féodaux, pourrait bien être l'ancienne maison forte qui est mentionnée dans les actes et les registres des vassaux de Champagne.

            Après la suppression des bailliages dans la fameuse nuit du 4 août 1789, qui consacra l'abolition du régime féodal, un tribunal de district fut établi à Ervy, comprenant Bernon dans son ressort ; mais ce district ayant été supprimé par la constitution de l'an III, Bernon fut désigné pour être dans le ressort du tribunal de Bar-sur-Seine et la justice de paix de Chaource.

            Pendant cette longue période de durée du régime féodal et de royauté absolue de droit divin, le village de Bernon s'est développé peu à peu sous l'influence des progrès de la civilisation et des méthodes de culture importés par les représentants de l'Eglise et des seigneurs. Des maisons de maîtres avec portes cochères cintrées et des pigeonniers, entourées de vastes enclos de pierres sèches s'y élevèrent ; des travaux importants y furent exécutés pour l'amélioration de la culture et l'assainissement du village. Avec la culture de la vigne, introduite par les moines du monastère qui subsista à côté de l'église, le bien-être de la population s'accrut et s'y développa régulièrement, à la satisfaction générale. D'après la note ci-dessous rapportée, on verra que, depuis la Révolution, la population est restée stationnaire.2

1 - L'abbaye de Quincy, de l'ordre de Citeaux et de la filiation de Pontigny, est née en 1133 du diocèse de Langres. Elle fut fondée près de Tanlay dans le doyenné de Saint-Vinnemer à deux lieues de Tonnerre par Elie de Rougemont, Roger d'Ancy et Bernard d'Amboise.

                Dans un recueil d'aveux et dénombrement rendu au roi de France à cause de la châtellenie de Bar-sur-Seine (manuscrit de la fin du XIVe siècle, archives de l'Aube), les sept communes du district de Ervy, à savoir : Bernon, Avreuil, Coussegrey, Lignières, Marolles, Prusy et Vanlay ont toutes en regard (charte de l'abbaye de Quincy). Pourquoi cela ? C'est peut-être que cette abbaye était devenue propriétaire des biens et droits de celle de Molesme dans la région ; ou qu'elle fut autorisée à y fonder divers monastères, notamment celui de Bernon, pour les sept communes susmentionnées.

2- Compte de l'élection de Saint-Florentin. C 2131, liasse 20 pièces papier (1757-1789). - Dépouillement de la minute du rôle des tailles de la communauté de Bernon, élection de Saint-Florentin pour l'année 1789. M. de Tanlay, seigneur du lieu ; 3 privilégiés ; 94 feux ; taille réelle : 904 livres, 5 sous ; taille personnelle : 419 livres, 15 sous ; impositions accessoires : 639 livres, 15 sous, 8 deniers ; capitation : 750 livres; total : 2621 livres, 15 sous, 8 deniers. Procès verbal d'arpentage du territoire. Contenance : 4 246 arpents, mesure du lieu ; 3 509 arpents, 9 perches 1/4, mesure du roi. Devis de la construction du presbytère, rôle d'une imposition levée pour subvenir à la dépense.

                C 2132 - Plan 1 pièce papier (1784). Plan du territoire de la commune de Bernon (collection des inventaires sommaires des archives départementales de l'Aube antérieurs à 1790).

Nota - Pièce complémentaire. Copie du cartulaire général de l'Yonne, II, p. 26 de M. Quantin (1860).

            XXV. Donation par Guy d'Aspu et ses frères à l'abbaye de Molesme.

            Guy d'Aspu, touché de Dieu, vint à Molesme et prit l'habit religieux. Il donna alors au monastère l'alleu qu'il avait dans le Tonnerrois, savoir : dans le château, à Grisy, Bernon, etc. Son fils, sa fille et ses frères ont ratifié ce don. Longtemps après, ses deux frères étant venus le voir au monastère donnèrent aux moines leur droit sur le moulin de Grisy.

            Château féodal. - Partout au XIe siècle sur les hauteurs les plus escarpées se dressent les manoirs féodaux, aux murailles de six pieds d'épaisseurs, flanqués de grosses tours à larges créneaux, entourés de fossés ; au centre s'élève le beffroy ; c'est là que la cloche d'alarme appelle au château les serfs à l'approche de l'ennemi, et qu'au point du jour le cornet de la guette ou sentinelle leur dit qu'il est l'heure de commencer leurs travaux ; au pied du château, le village et les misérables cabanes des paysans.

            Nous avons dit notre pensée touchant les édifices qui s'élevèrent  primitivement sur le coteau nord-est au-dessus de Bernon ; nous avons  cherché à établir qu'à l'oppidum gaulois succéda un castrum, ou camp retranché gallo-romain. Il nous reste à parler du château fort qui succéda ensuite à la construction romaine. Quelle est l'origine de cet édifice ? Fut-il élevé au XIe siècle par la féodalité organisée ? Est-il antérieur ? Et à quelle époque fut-il détruit ? Ni la tradition ni l'histoire n'en ont conservé le souvenir. Tout ce que nous savons c'est que le château existait déjà en 1139, date à laquelle nous le trouvons mentionné dans une charte de Thibaut II, comte de Troyes. D'ailleurs, par combien de phases cet édifice n'a-t-il pas dû passer ; que de modifications n'a-t-il pas subies avant d'arriver à sa dernière forme, que nous allons décrire :

            Cette forme nous semble être celle des constructions militaires du XIe siècle, de ces petites forteresses féodales si nombreuses à cette époque, occupées par un capitaine ou gouverneur et munies seulement d'une garnison suffisante pour les défendre contre un coup de main.

            La position de cette forteresse, ses dispositions intérieures, son exiguïté surtout, éloignent toute idée d'une habitation seigneuriale. Quelques rudes et grossières qu'aient été les moeurs des châtelains de cette époque, si ennemis de leur bien-être qu'on les suppose, nous doutons fort que les seigneurs de Bernon, presque tous possesseurs de biens considérables, aient consenti à s'exiler dans cette construction étrangère à toute idée d'art et de commodité et qui fut moins une habitation qu'un repaire.

            Cette forteresse se composait d'un corps de logis rectangulaire flanqué à chaque angle, d'une tour ronde de cinq à six mètres de diamètre ; une cinquième tour de même grandeur et formant donjon occupait la face du rectangle qui regarde le nord-est.

            Les parties habitées de la construction devaient se trouver dans les deux côtés du rectangle regardant le sud-est et le nord-ouest. L'entrée du château était tournée vers le sud, c'est-à-dire vers le village. C'est là que s'élevait la porte munie d'un pont-levis et couronnée de petits mâchicoulis, ce pont-levis s'abattait sur une maçonnerie encore visible.

            Le rectangle de la construction principale circonscrivait une tour centrale où s'ouvrait les jours des souterrains. Ces souterrains, qu'on retrouve dans toutes les forteresses de cette époque et qui servaient habituellement de prison, soit aux hommes de guerre, soit aux serfs, étaient d'une hauteur de deux mètres environ. L'un d'eux communiquait par une sorte de plan incliné à une cave de petite

dimension qui était probablement une citerne1, laquelle ne servait sans doute qu'en cas de siège, une fontaine qui ne tarit jamais existant dans le voisinage, mais hors de l'enceinte.

            Au pied d'une des tours d'angle s'ouvrait une poterne ou fausse porte destinée à sortir' à l'improviste par les fossés. Dans le grand espace vide au milieu, se trouvait ce que l'on appelait à cette époque la basse-cour qui renfermait les communs du château et servait de refuge aux populations voisines en cas d'attaque.

            Quoique en partie comblés par les atterrissements, ces fossés ont encore aujourd'hui une vingtaine de mètres de largeur sur trois à quatre de profondeur ; au nord-est et au nord-ouest, côtés les plus accessibles, se remarque deux lignes de courtines se prolongeant jusqu'au chemin de Turgy et qui était probablement reliées par des tours ou bastions. Ces courtines manquent à l'est et au sud, le château se trouvant suffisamment protégé de ces côtés par le fossé des Plarciaux et l'escarpement du coteau 2.

            En 1434, Henri du Bernon commandait au château de Bar-sur-Seine. Depuis cette époque on ne retrouve plus aucun représentant de cette famille.

            Dans sa chronique de la Pucelle d'Orléans, M. Ed. Vallet dit que : " d'Auxerre allant sur Troyes, le roi Charles VII se dirigea sur Saint-Florentin dont les habitants lui firent aussitôt obéissance, 3 juillet 1429 ; et que deux autres petites places Brienon et Saint-Phal se rendirent également. N'y aurait-il pas là une confusion ? Ne serait-ce pas plutôt Brenon, comme on disait alors, c'est-à-dire Bernon, dont la place aurait fait sa soumission avec celle de Saint-Phal? De Saint-Florentin à Saint-Phal la marche de l'armée royale par Bernon s'expliquerait mieux que par Brienon.

            Quoi qu'il en soit il paraît à peu près certain qu'un détachement de l'armée royale commandé par Jeanne d'Arc passe par Bernon en se dirigeant sur Saint-Phal, puisqu'il n'est pas question du passage de l'armée royale par Ervy dont la forteresse subsistait encore en cette époque.

            A quelle époque remonte la destruction de la forteresse de Bernon ? Cette question ne pourra être fixée que par la découverte de documents non encore publiés. Jusque-là nous ne pouvons faire que des conjectures par analogie de ce qui eut lieu pour les autres forteresses dans la contrée. Or, la ville de Bar-sur-Seine a été plusieurs fois dévastée par les Anglais, au XIVe siècle. Incendiée en 1359, elle fut de nouveau saccagée en 1478. Le château s'Ervy a été détruit par les Bourguignons en 1443 et celui de Bar-sur-Seine en 1478. De l'ensemble de ces faits il est permis de supposer que l'ancien château fort de Bernon a lui-même été détruit à l'une ou l'autre de ces deux dernières dates, au cours du XVe siècle sous le règne de Louis XI.

 

1 - L'erreur ou la malignité de quelques historiens leur ont fait dire que ces citernes, que l'on trouve dans tous les anciens châteaux forts, étaient des culs de basses fosses où l'on jetait certains prisonniers soumis à la torture et qu'on laissait périr là dans les plus atroces souffrances. Mais le bon sens et la bonne foi ont depuis longtemps fait justice de ces erreurs. Ces sortes de citernes qu'on qualifiait d'oubliettes, servaient, sans aucun doute, de coffres-forts où l'on enfermait les choses précieuses et principalement les fonds ou espèces provenant des contributions et redevances reçues des particuliers, afin de les mettre en sûreté et à l'abri d'un coup de main ; comme il est d'usage encore aujourd'hui de renfermer ces sortes d'objets dans des coffres-forts, par crainte des voleurs. C'est par erreur également qu'on a dit que les anciens fossés étaient remplis d'eau, au moins à l'approche de l'ennemi, ce qui était matériellement impossible.

2 - La forteresse franque était construite d'après les errements romains. Quand elle était placée sur une élévation, son assiette était toujours choisie sur une colline en forme de promontoire, projeté à la rencontre de deux vallées et son enceinte se trouvait naturellement tracée par la configuration de plateau qui couronnait l'éminence. Cette forteresse consistait en une enceinte palissadée, entourée de fossés, au milieu de laquelle s'élevait un tertre, factice ou non, un donjon qui en était la défense principale.

(L. Château. - Histoire de l'architecture en France)

 

                Nous retrouvons là tous les caractères de notre forteresse qui, primitivement sans doute, fut moins un château qu'un donjon.

                M. de Boulainvilliers fait remonter la construction de tant de châteaux qui son en Normandie (son pays) au temps des guerres des Normands (VIIIe siècle). Comme ils paraissent aussi en Champagne à la même époque on peut penser de même que plusieurs des châteaux de la Champagne avaient été" bâtis pour se défendre contre les Normands. Le nombre en augmenta sans doute dans le temps du fief de Champagne, parce que chaque seigneur voulait se défendre contre son voisin, mais il fallait la permission du comte pour en bâtir et les lois féodales l'en rendait le maître lorsqu'il voulait s'en servir dans ses guerres personnelles.

                Le château de Bernon était construit sur le même modèle et d'après les mêmes errements quant à sa situation et à ses moyens de défense que celui d'Arques-la-Bataille, en Normandie près de Dieppe dont les ruines, encore très bien conservées dans tous les détails, sont encore visibles.

                Aymon, le moine (livre V) dit que les Normands étant entrés en Bourgogne, le duc Richard, évêque de Langres, s'avança contre eux jusqu'au territoire de Tonnerre où il les battit si bien qu'après en avoir tué un grand nombre, il contraignit les autres à prendre la fuite.

                Ceci permet de supposer que le château de Bernon avait peut-être été construit en effet pour se défendre contre les Normands vers le VIIIe, ou le IXe siècle ; mais cette supposition n'est appuyée d'aucune preuve

 

            Outre les châteaux forts, comme celui de Bernon, on voyait encore dans les campagnes une sorte d'édifices non moins féodaux et plus puissants. C'étaient les nombreuses abbayes ou monastères que la piété et la munificence de nos souverains avaient fondés ou enrichis. Les évêques et les abbés étaient à cette époque de véritables seigneurs qui, pour la plupart, revendiquaient avec hauteur les prérogatives et les préséances. Souvent ils s'arrogeaient le droit de faire fortifier les villes et les châteaux, de rendre la justice en leur propre nom. Près de l'évêché, de l'abbaye ou du monastère se voyait ordinairement le fief ou l'hôtel du vidame autrement appelé advocatus, c'était le titre qu'on donnait au seigneur chargé par les suzerains ecclésiastiques d'agir dans leurs affaires temporelles. Les seigneurs du domaine de Bernon étaient de cette origine.

            Après la destruction de l'ancien château fort au-dessus de Bernon, la seigneurie des anciens tenanciers de ce fief, passa aux possesseurs du domaine féodal ecclésiastique de Tanlay, soit par expresse concession, soit par usurpation traditionnelle. L'emplacement de l'ancien château fort, depuis longtemps en ruines, appartient aujourd'hui à divers particuliers, sans aucun droit ni prérogative d'origine féodale, ce qui prouve la non survivance des droits féodaux attachés à cet ancien domaine et ses dépendances, depuis la destruction du château-fort. Au contraire des droits et prérogatives attachés au domaine féodal de Tanlay subsistèrent jusqu'en 1789.

            Avant la révolution de 1789 la plupart des demeures des habitants, couvertes de chaume, n'avaient que deux pièces dont une chambre à coucher et une chambre à four à vaste cheminée sous le manteau de laquelle se groupait toute la famille pendant les soirées d'hiver. Au logis principal s'ajoutaient une étable, une grange, un hangar, un cellier, un puits, s'élevant dans des cours particulières, ou communs, dont la jouissance donnait lieu souvent à de longues et fréquentes contestations. Quelques pièces de terre ou jardin complétaient les dépendances de ces habitations primitives, presque toutes malsaines et mal éclairées.

            Mais d'autres maisons couvertes de tuiles se distinguaient de ces chétives demeures. Quelques-unes avaient un étage ce qui, pour le temps, leur donnait grand air, surtout quand les pignons étaient surmontés de girouettes à l'instar des manoirs féodaux ; d'autres avaient un pigeonnier ; c'était la résidence d'été de bourgeois, gros propriétaires de labourages, d'Ervy, de Tonnerre ou de Troyes, de petits nobles à particule, qui venaient en villégiature à Bernon, vivre de la vie champêtre et s'y livrer par les mains de leurs vignerons, valets et domestiques, à la culture de quelques arpents de vigne et de terre.

            Le territoire était moins morcelé qu'à notre époque où la plupart des labourages, appartenant aux bourgeois ont été vendus par parcelles aux habitants, chaque paysan possédant plus ou moins ; de sorte qu'à l'aide des anciens terriers de Bernon on pourrait rétablir assez facilement la généalogie des familles de ce pays aux XVIe et XVIIIe siècle, comme les Bourgoin, les Bessonat, les Chaulet, les Collin, les Fauche, les Jamin, les Mathieu, les Mérillot, les Robin des Places, les Thaureau, les Thumereau, les Thiney, les Brot, les Chériot, les Cordier, les Genet, les Roger, les Jacquinet, les Hugots, etc...

            Tous étaient adonnés à la culture du sol, et à divers métiers manuels tels que maçons, charpentiers, menuisiers, bourreliers, maréchaux ferrants, tisserands, couvreurs, bûcherons, tonneliers.

            L'hôtel du représentant de la seigneurie (ou manoir féodal) et l'église, sont les seuls monuments à Bernon qui subsistent des temps passés, ainsi que trois croix monumentales érigées l'une dans le haut de la Grande-Rue, une autre à l'intersection des chemins d'Ervy au lieu-dit la éré de la Croix et la troisième au chemin de Vanlay, à l'intersection des chemins de Vanlay, Turgy et Vallières.

            Avant la révolution il n'y avait à Bernon ni école communale, ni mairie ; l'état civil des personnes était inscrit sur les registres de la paroisse par le curé, à qui incombait aussi la charge de l'instruction et de l'éducation ainsi que l'administration des secours aux pauvres et aux affligés.

 

 

 

 

 

CHAPITRE IV

 

Epoque moderne.

 

 

I - Evolution des idées politiques et sociales

 

            Lorsque César fit la conquête de la Gaule de l'an 58 à l'an 52 avant Jésus-Christ, "il ne trouva, dit-il, que deux sortes d'hommes qui fussent honorés : les Druides et les Nobles. Pour la multitude, son sort ne vaut guère mieux que celui des esclaves, car, accablés de dettes et de vexations de la part des grands, la plupart des hommes libres se livrent en servitude".

            Au VIe siècle, il y avait trois sociétés, en Gaule ; les Gallo-Romains, les Barbares et l'Eglise ; il y en a trois encore au XIe siècle, les seigneurs, les clercs et les serfs : les deux premières riches, puissantes et actives, la dernière opprimée et misérable. Comme la France monarchique la France féodale a eu sa révolution : l'avènement des communes au XIe siècle. Le grand fait social de ce siècle a été la disparition des trois classes : serfs, demi-libres, libres, qui existaient au IXe siècle , et leur unité dans l'assujettissement au seigneur. Durant les XIIe siècle et le XIIIe siècle, malgré les progrès de la royauté et l'émancipation de la bourgeoisie, le principe féodal est toujours la base de la société ; ensuite ce fut l'avènement d'un Etat souverain, gouverné d'abord par une monarchie héréditaire de droit divin ; puis par les différents régimes qui se sont succédé depuis la Révolution de 1789, et que l'histoire désigne sous la rubrique de gouvernements constitutionnels, savoir :

            Révolution. 1re République du 21 septembre 1792 à 1804 (12 ans, de l'an I à l'an XII).

            Révolution de 1830, royauté de Louis-Philippe de 1830 à 1848 (18 ans).

            Révolution de 1848, 2e République, 1848 à 1851 (3 ans).

            Napoléon III, rétablissement de l'Empire, 2 décembre 1851 au 4 septembre 1870 (19 ans).

            3e République, 4 septembre 1870.

            Le territoire compris dans le département de l'Aube ressortissait avant 1789, dans son entier au parlement de la Cour des comptes à la Cour des aides et à la Cour des monnaies de Paris. Depuis la Révolution le département de l'Aube appartient à la sixième région militaire dont le quartier général est à Châlons-sur-Marne. Il ressort de la Cour d'appel de Paris, de l'académie de Dijon, à la septième région de gendarmerie (Châlons), de la cinquième inspection des Ponts et chaussées, - à la huitième minéralogique de Troyes (division du Nord-Est), - à la région agricole du Nord-Est.

 

II - Tablettes paroissiales.

 

            1° - De l'origine des paroisses et de la formation des doyennés. - D'abord il faut admettre pour principe que toutes les paroisses d'un diocèse quelconque sont filles de la cathédrales, parce qu'il n'y en a pas une seule qui s'en soit sortie. Ceci est aisé à comprendre : avant qu'il eût des paroisses à la campagne, la cathédrale était la seule église du diocèse, la seule où l'on célébrait les saints mystères, la seule, qui, dans les premiers temps, avait des fonds baptismaux ; et l'on en sent parfaitement la raison : c'est qu'alors nul autre que l'évêque n'avait le droit de prêcher l'évangile ; nul autre n'avait le droit d'administrer le sacrement de Pénitence; d'où il résulte que c'est la cathédrale que toutes chair du diocèse sont sorties, du moins médiatement, et en laquelle seule elles gardent l'unité et la subordination.

            La religion catholique s'étend insensiblement répandue de la ville épiscopale dans la campagne et les fidèles ne pouvant, à cause de l'éloignement, porter leurs enfants baptiser en l'église cathédrale, l'évêque se vit dans l'obligation d'ériger en divers cantons des églises baptismales. On nommait plébes, doyennés, ou archiprêtrés, ces premières églises de la campagne où était un baptistère au cause du peuple qui venait de tout le canton pour le baptême.

            La paroisse de Bernon, fondée au XIIe siècle, dépendait avant 1789 de l'ancien diocèse de Langres, province ou archevêché de Lyon, doyenné de Saint-Vinnemer. Elle fut réunie au diocèse de Troyes par le Concordat (15 juillet 1801).

            Par décret rendu en synode diocésain le 3 octobre 1873, le diocèse de Troyes fut divisé en deux archidiaconnés : Troyes et Arcis-sur-Aube. Le premier est formé des archiprêtrés de Troyes et de Bar-sur-Seine.

            Les chefs-lieux de canton ecclésiastiques sont occupés par des doyens et sont ainsi devenus des doyennés. Le doyenné de Chaource comprend vingt-deux paroisses parmi lesquelles celle de Bernon et deux binages, Chaserey et Vallières.

            Le diocèse de Troyes reconnut toujours Sens pour sa métropole.

 

            - Eglise paroissiale de Bernon. -L'église, sous le vocable de Saint Winebaud 1, est du XIIe siècle, mais elle a été remaniée au XVIe. Bien que d'une architecture sobre et sévère, l'ensemble et les détails s'harmonisent assez bien avec l'imposante majesté du culte catholique.

            En voici la description d'après le répertoire archéologique du département de l'Aube :

            " Plan en forme de croix latine. Longueur 27 mètres ; largeur, sanctuaire 6m.60 ; nef 7m.60 ; hauteur abside et transept 6m. 70 ; sanctuaire terminé à l'orient par un mur droit : voûte du XVIe siècle, transept, une travée ; les bras du XVIe siècle".

 

 

 

1 - Saint-Winebaud (Winebaldus) naquit à Nogent-sur-Seine de parents aisés et d'une famille romaine, vers le milieu du VIe . Ils eurent un soin particulier de son éducation et le firent instruire dans les sciences où il fit de grands progrès. Dès sa plus tendre jeunesse il s'aperçut des dangers du monde et il résolut de s'en séparer en embrassant l'état ecclésiastique. Il mourut le 6 avril 620 environ. Ses reliques sont conservées à l'abbaye de Saint-Loup. L'église de Troyes en fait mémoire le 6 avril et, prieuré qui porte son nom à Saint-Martin de Boussenay doyenné de Marigny, sa fête se célèbre le second dimanche après Pâques pour faciliter le concours des fidèles.

(M. Courtalon Delaistre. Histoire du diocèse de Troyes)

 

Nota - A Bernon, la fête patronale de Saint-Winebaud se célèbre à l'église le 29 ami ; elle est remise au dimanche suivant pour les réjouissances foraines.

                L'érection d'une église dans un village était autrefois considérée comme un signe d'émancipation des habitants et la preuve de leur affranchissement, la religion chrétienne exaltant la personnalité et l'âme individuelles.

            Flèche en bois, couverte d'ardoises, refermant deux cloches ; la flèche surmonte l'édifice au centre des bras de croix. La bénédiction des cloches a eu lieu le 19 octobre 1862, par Jean-Baptiste Cros, curé de la paroisse. La parrain fut M. Lorin-Hippolyte Textoris, membre du conseil général de l'Yonne ; et la marraine Mme Adélaïde Eugénie Bessonnat, épouse de M. Viardot de Chesley, membre du conseil d'arrondissement de Bar-sur-Seine.

            Les bras de croix renferment chacun une chapelle. Celle à droite est dédiée à la Sainte Vierge ; celle de gauche à Sainte Anne. Dans cette dernière se trouve un très beau confessionnal en chêne de style gothique et dans la nef la chaire, en chêne et du même style, l'un et l'autre sculptés par Lagoguez, enfant du pays.

            L'église est ornée d'un chemin de croix de la maison Poussielgue de Paris, et des statues anciennes en plâtre parmi lesquelles on remarque : du côté de l'épître : la statue de la Vierge Marie tenant l'Enfant Jésus dans ses bras, et du côté de l'Evangile celle de Saint Winebaud, patron de la paroisse. Au-dessus du maître autel, orné de deux colonnes et d'un chapiteau de style corinthien, se trouve un château peint à l'huile qui paraît être une copie ou imitation du célèbre tableau du Guide, représentant Saint Dominique recevant le rosaire des mains de la Sainte Vierge. En haut on lit : A.I.I.q. 9552.

            L'église ne possède aucune relique, sinon une parcelle, de la vraie croix, relique dont l'origine est garantie par le sceau épiscopal.

            Sur le registre des délibérations de la paroisse on remarque une approbation :

            Vu par nous Anselme Marie Forget, docteur en Sorbonne, vicaire général et official de Langres, archidiacre du Tonnerrois ; le compte précédent nous l'avons alloué, sauf avis, pour, dans notre prochaine visite, le compte de la Confrérie de la Sainte Vierge, et avons reçu pour notre droit la somme de 25 sols de la part de la fabrique.

"Fait à Bernon, le 27 mai 1?77, étant dans le cours de notre visite.

Signé : Archidiacre Forget, vicaire."

 

            3° - Obituaire - Voici d'après les registres de la paroisse la liste des dons1 faits à la Fabrique depuis la révolution de 1789 :

            1800 - Mme Joly de Chaource, Luce Robin des Places, décédée en 1800 laisse une rente annuelle de 100 francs.

            1851 - Melle Marie-Magdelaine Bailly a laissé à l'église de Bernon, son pays natal, 1 000 francs pour réparer la chapelle des fonds baptismaux et pour l'achat d'une coquille en marbre.

            1865 - Mme Edme Thiney, épouse de M. Antoine Boulard a légué à l'église de Bernon la rente perpétuelle d'un capital de 2 000 francs.

            1874 - Mme de Senevoy donne une rente annuelle et perpétuelle de 125 francs à charge de faire célébrer à perpétuité, cinquante messes basses pour le repos de l'âme de M. Armand-Jules, marquis de Senevoy, son époux décédé.

 

 

 

 

 

1 - Les dons faits à la Fabrique de l'église de Bernon avant la révolution de 1789 ont été saisis et dispersés à cette époque par les représentants du gouvernement révolutionnaire. Ceux faits depuis (et ci-dessus désignés), ont été de même confisqué et détournés de leur destination par les représentants du régime républicain actuel, en exécution de la loi de séparation des Eglises de l'Etat, du 9 décembre 1905.

 

            1876 - 15 octobre. Acceptation provisoire par la fabrique d'un legs fait par feu Thomas-Antoine Boulard, par testament en date du 8 mai 1876, devant M. Oudin, notaire à Vanlay. M. Boulard donne ses biens recueillis dans la succession de Edme Thiney, sa première épouse à charge de faire célébrer à perpétuité vingt-quatre messes basses et un service solennel, la veille de la fête patronale de Bernon.

            M. le marquis de Tanlay a donné le 12 juin 1851 un ostensoir en argent avec croissant de vermeil sortant des ateliers de Vandeuvre.

            Mme la marquise de Senevoy, un ornement blanc, un ornement noir et une aube;

            Mlle Lasquier de Troyes, une magnifique croix avec Christ sortant des ateliers de Vandeuvre.

            M. Textoris de Cheney, vases et fleurs artificielles.

            Les habitants de Bernon, avec le concours de quelques personnes étrangères à la paroisse, un chemin de croix de la maison Poussielgue de Paris.

 

 

            Mme Alexis Chaulet de Troyes une magnifique nappe d'autel et plusieurs vases de fleurs artificielles.

            M. Jules Thiney un exemplaire manuscrit d'une notice géographique, historique et statistique sur Bernon, par lui-même, avec la collaboration de Mme Jules Thiney, née Euphrasie Moreau, sa femme pour la recherche des documents concernant cette notice.

 

            - Presbytère -  Le presbytère bâti proche de l'église, à l'Est, est renfermé dans un bel enclos de mur de pierres sèches du pays, d'une contenance d'environ 30 ares, et complanté d'arbres fruitiers de toutes sortes et de charmilles de noisetiers.

            La première pierre en a été posée par M. Nicolas-Antoine Mézières, prêtre doyen, curé de Bernon, le 4 novembre 1757 (extrait d'un ancien registre de la paroisse).

            Le même registre mentionne également ce qui suit : la grange, écurie et une cave bâties aux frais du sieur Mézières (1757). M. Mézières a fait transplanter les arbres du verger et espalier du jardin et il a fait défricher le verger et le jardin. Priez Dieu pour le repos de son âme.

            A la fin du registre de 1759, on trouve cette note " la maison curiale de ce lieu de Bernon, soussigné, le 6 novembre 1759 et habitée le dix dud. mois de la mesme année.

            "Signé : Mézières, doyen, curé de Bernon.

            " Soli Deo honor et gloria et gratiarum actio lausque perpetua. Amen".

           

Depuis le loi du 9 décembre 1905 qui a aboli le concordat du 15 juillet 1801, et prononcé la séparation des Eglises et de l'Etat, la maison curiale de Bernon, ayant fait retour à la commune, a été affectée par la municipalité à l'installation d'une école laïque enfantine et au logement de l'institutrice.1

 

 

1 - A l'occasion de l'inauguration de cette école enfantine le maire de Bernon a prononcé un discours de circonstance qui a été diversement apprécié, et son auteur ridiculisé par certains journaux du département. Le patriotisme exige, en effet, que, si l'on ne pense pas comme les ancêtres, on respecte au moins ce qu'ils ont fait et pensé.

                "L'histoire des peuples, a dit Lamennais, est écrite dans leurs monuments, non l'histoire fugitive des accidents de leur existence, mais l'histoire plus profonde de leur vie morale et intellectuelle, de leur nature de leur conception générale des choses."

 

            Depuis cette époque la cure est demeurée vacante et la paroisse est devenue un binage desservi, soit par le curé de Coussegrey, soit par ceux de Vanlay ou de Lignières.

 

            5°- Curés de Bernon. - ( prêtres et desservants.)

            1686. Nicolas Antrand, décédé le 19 mai 1706.

            1706. Roger-Henri Regnault de Vougrey, curé doyen de Bernon à partir du 17 juin 1706, le curé titulaire M. de Vougrey, n'étant que diacre, ne pouvait, quoique curé, remplir les fonctions de prêtre. Il prend donc pour le remplacer un religieux cordelier de Tanlay, qui signe les actes au nom de P. Foy. Ensuite un prêtre, bachelier en théologie d'Avignon, du nom d'Olier, lequel fut quelques mois plus tard attaché à la chapelle de Saint Nicolas de Montbard. En 1707, au mois de mai, M. de Vougrey, ordonné prêtre, paraît comme curé et en remplit toutes les fonctions. En 1728, l'évêque de Langres visite Bernon ; il en est fait mention sur le registre de la paroisse et quelques mois après M. de Vougrey ajoute à sa signature le titre de doyen. M. de Vougrey meurt le 13 novembre 1755. M. Le Noir, jusqu'ici vicaire de Bernon, prend le titre de desservant à partir de janvier 1755, quoique M. de Vougrey ne fût pas encore décédé. Au mois d'Août de la même année apparaît le nom de Poussetet, chapelain de Coussegrey, desservant Bernon, jusqu'à 1756.

 

 

            1756 - Nicolas Mézières, curé doyen, jusqu'en 1763, ayant pour vicaire depuis février, Jean-Claude Mathieu.

            1763 - Jacques Labille, curé, jusqu'au 12 avril 1791 époque de son décès. Il a pour vicaire Jacques Bertenet.

            1784 - Bidot, prêtre, vicaire de Vallières, desservant Bernon.

            En 1785-1786, M. Labille, malade ou en congé, confie le service paroissial à différents prêtres :

MM. Vibert, Etienne Lepateuy, Luis Morisot, Jeoffroy. En 1788, il a pour vicaire Robin, à partir du 12 août 1791 jusqu'en 1792, le service paroissial est fait soit par M. Baudin, chapelain de Chesley, soit par M. Bonnemain, curé de Vanlay, ou M. Deschamps, curé de Lignières;

            1792 - M. Vincent, Edmée-Philippe-Laurent, décédé le 25 février 1850, à l'âge de 91 ans. Dès 1848 la paroisse est administrée par M. Maistre, curé de Coussegrey au nom de M. Laurent.

            1850 - Jacques du Mesnil.

            1858 - Etienne, plus tard chamoine titulaire de Troyes.

            1860 - Jean-Baptiste Cros.

            1866 - En octobre, M. Saulnier curé de Coussegrey, dessert Bernon.

            1868 - Ponard, plus tard curé de Torvilliers.

            1872 - Saulnier est bineur de Bernon.

            1873 - Rincent, décédé en 1878.

            1878 - Jaillant, plus tard doyen d'Auxon.

            1879 - Saulnier, curé de Coussegrey dessert Bernon.

            1880 - Achille Paillé, plus tard curé de Braux.

            1881 - Henri Rémy, plus tard curé de Cussangy.

            1891 - 19 juillet, Paul-Marie Honnet, plus tard curé de Saint-Phal .

 

Nota : C'est M. l'abbé Honnet qui nous a fourni les renseignements ci-dessus, concernant les archives de la paroisse ; qu'il nous soit permis de l'en remercier ici.

 

            6° - Le cimetière -  L'ancien cimetière, établi autour de l'église depuis sa fondation, a été désaffecté en 1899 et remplacé par un nouveau dans un terrain acquis par la commune et enclos de murs la même année, situé au bas de la côte des Ouches ; on y accède par une belle allée de marronniers longeant l'enclos de l'église et du presbytère. Ce nouveau cimetière, renferme des places réservées pour les concessions trentenaires, au prix de 10 francs le mètre et d'autres pour les concessions à perpétuité, au prix de 100 francs le mètre, ou 200 francs la place.

 

III . Tablettes municipales.

 

            De l'origine et de la formation des communes.

            Aujourd'hui, on entend abusivement par commune, une division territoriale remplaçant les anciennes paroisses. La commune, autrefois, était une chose essentiellement morale et non une circonscription géographique. C'était un lien politique accepté par un certain nombre d'hommes ayant des intérêts communs, un pacte constituant un droit.

            Le droit de commune consistait alors dans la faculté accordée aux habitants d'une ville ou d'un bourg de se gouverner eux-mêmes, au lieu d'être gouvernés par les officiers du seigneur laïque ou ecclésiastique.

            C'est vers le XIe siècle qu'éclata en France le grand mouvement communal, "cette révolution, mère des révolution modernes". Bien des opinions ont été mises sur l'origine de ces institutions : pour les uns elles ne sont que le produit d'insurrections contre les iniquités féodales ; pour les autres, elles sont des révolutions, c'est-à-dire des créations sociales toutes nouvelles en dehors de tous précédents et prenant leurs sources dans les grandes doctrines prêchées par l'Evangile ; pour d'autres enfin, la commune est un fait fatal, nécessaire, une sorte d'association à laquelle aboutissent naturellement tous les affranchis. Quoi qu'il en soit de ces diverses opinions, il n'en est pas moins établi aujourd'hui que le gouvernement municipal en France ne date pas du moyen âge ; que les Romains, vainqueurs de la Gaule, appliquèrent à ses plus petites bourgades cette forme d'administration qu'ils pratiquaient eux-mêmes de temps immémorial et que l'octroi d'une commune à une ville n'était souvent que la reconnaissance d'un droit et d'un état de choses préexistants.

            Ceci posé, l'hypothèse de l'existence d'une commune à Bernon au XIVe  siècle au moins, s'appuierait sur ce fait qu'à cette époque le village de Bernon était fortifié et qu'une enceinte de murailles ou de fossés supposait presque toujours un droit de commune1. Mais l'on sait que presque toutes les libertés communales périrent vers la fin du XIVe siècle sous les coups de la réaction féodale qui eut pour prétexte les terribles excès de la Jacquerie.

            Les événements qui se passèrent dans le sein de la commune de Bernon, eux du moins relatés dans ces archives avant 1789, offrent peu d'intérêt.

            Le 14 décembre 1789, l'Assemblée constituante supprima les municipalités des villes, bourgs, paroisses et communautés pour les remplacer par les municipalités formées sur un nouveau mode, unique pour toute la France. L'administration municipale, élue par les habitants de la commune, fut divisée en deux partie : l'une d'elle constitua un corps délibérant sous le nom de conseil général de la commune, l'autre composée d'un certain nombre de membres du corps municipal, sous la présidence d'un  maire, fut chargé de l'autorité exécutive. La

 

1 - Un mur d'enceinte n'était, en effet, que l'unité de défense appliquée à des intérêts multiples qui s'étaient combinés et unis.

 

constitution de l'an III modifia cet état de choses et n'accorda une administration municipale qu'aux villes ayant plus de cinq mille âmes. Bernon, dont la population était bien inférieure à ce chiffre, fut englobé dans une administration cantonale1. Chacune des communes du canton élisait un agent principal. Ces agents réunis composaient la municipalité auprès de laquelle était placé un commissaire du Directoire. Ce système ne dura que jusqu'à la loi du 28 pluviôse an VIII ( 17 février 1800 ), qui rendit à la commune son individualité en confiant son administration à un maire, assisté d'un conseil municipal, mais en supprimant le principe d'élection. Ce principe a été régie par la loi du 5 avril 1884.

            Nous avons peu de chose à ajouter pour compléter l'histoire de notre commune. Les troubles politiques et les changements de gouvernements que la France a subis depuis la révolution de 1789 y ont peu de retentissement, la population naturellement calme et peu accessible à l'effervescence a toujours accepté sans troubles ni protestations les différents gouvernements qui se sont succédé en France jusqu'à nos jours.

 

            2° - Travaux contemporains  (mairie, école, etc...).

 

            Depuis sa formation en 1790, la commune de Bernon s'est imposé de lourds sacrifices pour améliorer ses services municipaux et sa voirie. Son budget s'équilibre actuellement à la somme de 11 126 Fr. 90 (année 1897), pour une population de 384 habitants, soit 290 francs par habitant, non compris les impôts indirects et ceux de l'Etat et du département.

            Parmi les principaux ouvrages exécutés depuis la Révolution nous citerons :

 

            À . L'établissement de cinq chemins vicinaux et d'intérêt commun d'une longueur totale de 14 826 mètres, savoir : chemin d'intérêt commun n° 23 d'Estissac à Tonnerre, 4 561 mètres.

 

            Á - Ponts - La construction de sept ponts carrossables en pierre, savoir :

- Sur le chemin             de Lignières, construit en             1865, coût :     3 800 francs

-           "                      d'Ervy                         "            1874               11 315 francs

-           "                      de Coussegrey            "            1885                 3 796 francs

-           "                      de Chervey                     "            1889                 1 500 francs

-           "                      De Prusy              "            1895                 2 000 francs

-           "                      rue du Four                "            1895                 3 360 francs

-           "                      rural de Prusy            "            1898                 1 300 francs

Et un aqueduc sous la rue du Faubourg-de-la-Fontaine, 1876.

 

            Â - Maison communale. Bâtie en 1878 sur un emplacement couvert de masures qui furent démolies, et acheté par la commune vers 1860, cet édifice d'aspect banal, sans style ni ornement d'architecture, construit en briques et pierres badigeonnées de mortier de chaux, et agrémenté sur la façade d'une cour clôturée par un mur bas, surmonté d'une grille en fer et d'un perron auquel on accède par un escalier de plusieurs marches en pierres et par un clocheton, renfermant une horloge, qui surmonte l'édifice (lequel a été ajouté depuis la construction) ; par derrière il existe un bel enclos, complanté d'arbres fruitiers de toutes sortes, d'une

 

 

1 - M. Robin des Places fut président jusqu'à l'an VIII de l'administration municipale du canton de Bernon, qui comprenait, ainsi qu'il a déjà été dit : Avreuil, Bernon, Coussegrey, Marolles, Prusy, Vanlay et Lignières.

contenance de 26 ares 33 centiares, servant de jardin et verger à l'usage de l'instituteur communal. Indépendamment de la salle de mairie, une pièce servant de bibliothèque communale, et de salle d'école, il renferme en outre diverses pièces appropriées pour le logement de l'instituteur. Cet édifice situé dans le bas de la Grande-Rue a coûté 31 780 francs.

 

            Ã - Hôtel de la poste . - La construction d'un pavillon à usage des Postes, Télégraphe et Téléphone.

 

            Ä - L'achat du terrain et la construction des murs et porte du nouveau cimetière.

 

            Å - L'achat d'une pompe à incendie et de ses accessoires et la construction d'un hangar pour les remiser.

 

            Æ - L'achat et l'installation des deux cloches bénites, en 1862 ; du confessionnal et de la chaire sculptés.

 

            Ç - Enfin l'érection sur la place en face de l'église et du presbytère, d'un socle en pierre surmonté d'un buste en bronze à l'effigie de la République1.

 

            3° - Notes diverses. Desiderata. - Malgré les sacrifices que la commune de Bernon a su s'imposer pour ne pas rester en arrière des autres localités, il reste encore beaucoup à faire ; nous essayerons  d'indiquer ici quelques desiderata auxquels l'administration municipale satisfera, nous en sommes sûrs, au fur et à mesure que les ressources le permettront :

            Nous signalerons en première ligne l'établissement d'un asile pour vieillards et invalides à la charge du Bureau de Bienfaisance,, ou, ce qui serait préférable et mieux apprécié par la population, la fondation d'une maison de retraite hospitalière pour vieillards et invalides, sous la filiation d'une institution religieuse autorisée de cet ordre.

            Si les règlements concernant l'hygiène dans les campagnes y étaient mieux observés et appliqués, il n'est pas douteux qu'on verrait disparaître certaines épidémies qui y causent tant de ravages dans la population et même le bétail.

            La Grande-Rue bordée de fossés malpropres, où l'eau sale et la boue séjournent en nappes croupissantes, est une cause d'insalubrité permanente qu'il serait facile de faire disparaître en transformant ces fossés en aqueducs. Deux belles rangées d'ormes ou de tilleuls de chaque côté auraient l'avantage de l'assainir et en même temps de l'embellir par de beaux ombrages, quelques bancs de bois y seraient un agrément pour les vieillards. Quand cela est possible sans trop de frais, comme cela serait le cas pour Bernon, partout l'eau de source pour les besoins de l'alimentation de la population et du bétail, devrait être substituée à l'eau de puits ou de rivière par des  travaux de captation et de canalisation appropriés, à l'instar de ce qui a déjà eu lieu dans la plupart des villes.

 

 

 

1 - Nota - Pourquoi érection, en face de l'église de ce frêle et inesthétique monument, qui ressemble plutôt à un tombeau funéraire particulier, qu'à un monument public ? Mystère maçonnique sans doute, qui signifie ou veut signifier pour les initiés : "ceci tuera cela", comme l'a dit Victor Hugot, au sujet du livre qui tuera la cathédrale. Et cela est d'autant plus incompréhensible que ce monument a été érigé aux lieu et place d'un superbe orme dit de la liberté, planté là par les républicains de 1848 et qu'il fallut abattre.

 

            L'aménagement des eaux vives et des eaux pluviales des ravins par la création d'étangs, en certains endroits propices, pour l'irrigation des prairies et des pâtures pourrait également devenir une source de richesse appréciable.

            Indépendamment des autorités municipales, il nous semble qu'il y aurait utilité et avantage à fonder à Bernon une ferme modèle, qui serait la propriété d'un syndicat d'agriculteurs et de viticulteurs, et où, moyennant une faible cotisation, chaque adhérent trouverait aide et protection pour l'achat des matières et instruments agricoles utiles à ses besoins et pour la vente de ses produits;

            Cette association deviendrait un centre d'activité pratique où pourraient se fonder peu à peu, suivant les ressources, des oeuvres destinée à améliorer la condition matérielle des adhérents, telle, par exemple, qu'une caisse de prévoyance et de secours contre les accidents, les incendies, la mortalité du bétail, etc...

            Ce serait aussi un centre d'instruction qui servirait à créer un musée-bibliothèque, un centre de lecture, un jardin des plantes et d'acclimatation.

            Enfin, ce serait un centre de récréation où pourraient s'organiser des concerts, des jeux, des conférences ; ce serait aussi et surtout un centre de renseignements pour les initiatives de bien social et d'éducation agricole.

            Ce syndicat, devant rester purement professionnel et neutre en toute matière, il serait interdit aux adhérents, sous peine d'exclusion, d'y exprimer ou propager des idées politiques ou religieuses.

 

            4° - Maires de Bernon depuis la révolution.1

 

MM.            Joseph Chaulet, 1791 à novembre 1792.

            Jacques Jamin, décembre 1792 à l'an II de la République.

            Claude-Marc Bourgoin, de l'an II à l'an IV (brunaire).

            Un nommé Mathieu signe comme agent municipal de brunaire à nivôse de l'an IV.

            Edme-Robert Desplaces, nivôse an IV au 1er mai 1809.

            Jean Mathieu, 1er mai 1807 à avril 1830.

            Jacques Chaulet, mai 1830 à 1840.

            Collin (Jacques-Louis-Toussaint), août 1840 à avril 1847.

            Bouchu (Pierre), avril 1847 à 31 juillet 1848.

            Cordier (Joseph), juillet 1848 à octobre 1856.

            Thiney (Napoléon), octobre 1856 à 12 août 1869.

            Barrat (Armand), 12 août 1869 à mai 1888.

            Chaulet (Cyrille), mai 1888 à mai 1892.

            Barrat (Armand), mai 1892 à mai 1896.

            Chaulet (Cyrille), mai 1896 à février 1903.

            Defert (Juste), février 1903 à avril 1907.

            Thaureau (Olympe), avril 1907 à décembre 1919.

            Mathieu (Armand), mai 1912 à décembre 1919.

            Blonde (Eugène), décembre à ce jour.

 

 

 

 

1 - Nota - Qu'il nous soit permis de remercier ici M. Chaulet (Cyrille), maire de Bernon et M. Haillot, instituteur communal, qui se sont attachés à nous faciliter notre travail pour nous permettre de donner des renseignements statistiques exacts concernant les archives communales. Si nous avons l'agrément de ces renseignements, ils en ont tout le mérite.

 

 

            Depuis 1836, date du premier recensement officiel, la population de Bernon a varié dans les proportions ci-après :

            1836 :             433 habitants.

            1846 :             462             "

            1856 :             475            "

            1866 :             445            "

            1876 :             420            "

            1886 :             407            "

            1896 :             384            "

Une semblable diminution de la population si elle devait persister mettrait en péril l'avenir du pays. Or, il est une loi, celle du jus terrae , opposé au jus sanguinis. Cette loi admet que la patrie est le lieu ou l'on est né, ou presque toujours on grandit et on meurt ; le pays où l'on a ses souvenirs d'enfance, ses affections, ses amis, ses deuils. Elle préfère le milieu à la race ; elle admet une victoire sur l'atavisme. Que font tous les peuples jeunes ou trop peu nombreux qui manquent de bras ? Ils s'incorporent des étrangers qui seront dans un avenir très prochain des fils du pays. C'est une loi de la nature qui a horreur du vide et qui se charge de combler les lacunes partout où il s'en produit. Voilà le milieu qui aidera nos campagnes à se repeupler et à redevenir florissantes.

            Nous voici arrivé au terme de la tâche que nous nous sommes proposés et nous voudrions laisser comme adieu au village dont nous avons esquissé l'histoire, un horoscope de prospérité. Mais, hélas ! si nous avons soulevé avec tant de peine le voile qui couvre son berceau, il n'en est plus de même de son avenir et, sans risquer de passer pour un prophète de mauvais augure, nous pouvons à coup sûr prédire à Bernon le sort qui lui est réservé. C'est dans le position topographique d'un village, comme une ville, que se trouve la principale condition de son développement ; aussi, par suite de sa situation, le village de Bernon est-il voué à un éternel statu quo. Couché comme un géant endormi dans le fond de sa vallée, la vieille cité berconnaise, autrefois si redoutable par sa forteresse et si prospère par la puissance de ses seigneurs, est condamnée à voir dans une immobilité séculaire, ses voisines Chaource, Ervy, Saint-Florentin, plus heureuses et plus prospères : et si, dans un siècle ou deux, ces pages existent encore et que nos arrière-neveux les parcourent, ils s'étonneront sans doute de la retrouver telle que nous venons de la décrire, peut-être même amoindrie et moins peuplée par suite de la substitution de la machine à la main-d'oeuvre.

            Puisse-t-elle être du moins pour eux ce qu'elle fut pour nous : l'alma parens du poète, toujours belle et chère, malgré ses défauts.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

APPENDICE

 

 

Vieux papiers

 

 

            I - A partir du traité de Verdun, l'an 843, commence l'histoire des Français ; jusque là il s'agit de l'histoire des Gaulois, des Gallo-Romains et des francs. La France, en effet, a reçu maintenant toutes les races dont sa population s'est formée (sauf les Northmans, qui, au reste, se montre déjà sur les côtes et ne s'y établiront qu'en petit nombre) et tous les éléments celtique, romain, chrétien, germanique de la combinaison dont sortira sa civilisation. Le mélange est même déjà assez avancé pour qu'on ne distingue plus le Gallo-Romain du Franc, le civilisé du Barbare. Tous ont mêmes moeurs et à peu près même langue. L'idiome français s'est montré officiellement au traité de Verdun ; le droit cesse d'être personnel et devient local ; les coutumes remplacent le code romain ou les codes barbares ; il n'y a guère d'esclaves, il y a peu d'hommes libres, on ne verra bientôt plus que des serfs et des seigneurs.

            Mais cette France n'a plus l'étendue de la Gaule, le traité de Verdun l'a rejetée derrière l'Escaut et la Meuse ; derrière la Saône et le Rhône1. L'empire de Charlemagne s'est brisé en trois royaumes ; la France va se briser en principautés féodales dont quelques-unes aspireront même à jouer le rôle d'Etats indépendants. La royauté, faible au début contre les grands vassaux, les absorbera peu à peu et deviendra toute-puissante. " L'Etat c'est moi", a pu dire Louis XIV. L'unité de la nation française est réalisée et ce fut l'oeuvre de nos rois.

           

            II - L'histoire de la royauté et de la féodalité est connue et diversement appréciée. Voici à ce sujet un article de M. Gabriel Latouche paru dans le journal l'Eclair, n° 7706.

            "Avec l'Histoire de MM. Guiot et Mane nous en aurons fini des manuels d'Histoire. Et nous retrouverons dans ce manuel les défauts encore exagérés de ceux dont nous avons déjà parlé ! Toujours le même mystère ; ne faire connaître dans le passé que ce qui est critiquable afin de le faire prendre en haine et en horreur aux enfants.

            "Par une division arbitraire les auteurs sacrifient l'Histoire de France jusqu'à la Révolution. Les faits et les institutions qui ont le plus grande importance pour le développement de notre histoire nationale y sont passés sous silence. C'est ainsi que le système de la féodalité, sans lequel il est impossible de comprendre le moyen âge, n'est pas même indiqué. On ne dit rien de la Renaissance. Louis XIII et Richelieu ne sont pas nommés. Par contre, il y a de longues tirades sur les diligences, les famines, et la Saint Barthélémy, etc...

            "Tout ce manuel est rédigé de façon à faire considérer nos aïeux comme des brutes et à faire croire aux enfants que le monde vivait dans les ténèbres, la barbarie, la misère et l'obscurantisme avant la Révolution, tandis que depuis lors il fait toujours beau, nous sommes les gens les plus civilisés, les plus instruits, les plus heureux qu'on puisse rencontrer.

 

 

1 - Dès le début de la guerre de 1914-1918, les Allemands ont indiqué que leur but de guerre était de ramener la France dans les limites de ce traité, sans compter bien entendu la rançon qu'ils nous eussent imposée pour leurs frais de guerre.

 

            "Voyez par exemple ce qu'était la France vers l'an 1000.

            "Le seigneur est un brigand, il ravage les terres, brûle les moissons, incendie les chaumières. Parfois, il se cache avec sa troupe, auprès d'un chemin isolé qui traverse une forêt. Il attend les riches marchands. Les malheureux sont fait prisonniers (cours préparatoire, p.27).

            "Voici le paysan maintenant : il habite un taudis. Il n'est pas libre, il est parfois esclave. Un collier en cuir semblable à celui d'un chien est fixé à son cou. On y lit ces mots : Jacques Bonhomme, serf du sire de Puiset. (P.31)

            Il a pu arriver que certains seigneurs aient dévalisés des marchands. D'autres qui ne sont pas seigneurs dévalisent marchands et gogos, comme l'on prouvé certaines affaires financières récentes. Mais, dire que c'était là leur unique occupation est une sottise. Les seigneurs au début étaient de vrais gendarmes qui pourchassaient les bandes de pillards. Taine et bien d'autres historiens l'ont proclamé. Les paysans avaient dit aux seigneurs : Battez-vous pour nous et nous cultiveront pour vous.

            On affirme que l'an mil, les famines étaient perpétuelles ! Alors de quoi vivaient nos ancêtres ? On va vous le dire. Les voyageurs étaient déchirés, rôtis et dévorés (p. 43). Les tirait-on au sort, au moins, comme dans la chanson du petit navire ? Le grotesque le dispute à l'odieux !

            "Plus loin : les seigneurs se faisaient des omelettes qui coûtaient mille francs (p. 89). Vous avez vu la note ? Les paysans ne mangeaient que de l'herbe, parce que les seigneurs, curé et roi, leur ont pris tout ce qu'ils ont gagné à la sueur de leur front (p. 91). Pour labourer ils étaient obligés d'atteler à la charrue leurs femmes et leurs enfants (p. 90 avec gravure pour montrer ce spectacle) ; et à chaque instant des inventions aussi saugrenues.

"Est-ce ignorance ou mauvaise foi ? Ces primaires n'ont donc pas lu un seul des innombrables travaux publiés depuis quarante ans sur le moyen âge, la féodalité, l'ancien régime ? Qu'ils ouvrent par exemple : le village sous l'ancien régime, par M. Bableau , membre de l'institut. Ils y verront notamment qu'au XIIe et XIVe siècles, les libertés nouvelles accordées aux populations rurales contribuèrent à accroître leur bien-être. L'aisance n'était pas incompatible avec le servage. On cite des hommes de corps dont le mobilier agricole et les bestiaux feraient envie à un fermier de nos jours (archives de l'Aube).

            "Dans des maisons couvertes de chaume vivaient des habitants habillés de solides étoffes, au milieu de meubles qui différaient peu de ceux des paysans modernes. L'argenterie y était même plus commune : dans la vaisselle du peuple des campagnes on parle à chaque instant de hanaps, de gobelets, de cuillers d'argent (v. Siméon Luce, Histoire de B. Du Guesclin, t. 1, p. 60).

            "Sans doute il y eut des époques de crise lors de la guerre de Cent ans, lors des guerres de religion, avec des conséquences dont nous n'avons pas l'équivalent ; par exemple les famines nées de l'insuffisance de moyens de communication (il y en a bien encore aujourd'hui aux Indes et dans l'Extrême-Orient), mais toujours les populations se relèvent par le travail avec une vitalité merveilleuse.

            "Sous Henri II, l'aisance et la richesse étaient universelles (v. Les Baliverneries - 1548 - ch. IV). Les bourgeois des villes se sont voulu habiller à la façon des gentilshommes, les gentilshommes aussi somptueusement que les princes, les gens des villages à la manière des bourgeois des villes (archives municipales de Troyes).

            "Une preuve indiscutable de la progression de la richesse, c'est l'augmentation de la valeur des choses. Au commencement des guerres de religions, lit-on dans un document du temps, les gens des villages estaient si riches et plainz de tous biens si moult meublez et leurs maisons si plainz de volailles et de bétail que c'estait une noblesse (cahiers des villages du bailliage de Troyes, 1576).

            "Ce qui n'empêche pas Guiot et Mane d'écrire dans le cours moyen (p. 146) à propos des paysans avant 1789 : Ils se nourrissaient comme des moutons et crevaient comme des mouches.

            "Or, tous les historiens autorisés s'accordent à reconnaître que les paysans furent heureux sous le règne de Louis XVI. Depuis vingt-cinq ans dit le cahier de Nemours en 1789, la culture, la population, les richesses de la France, ont fait comme ses lumières des progrès très sensibles. Ce cahier est l'oeuvre de Dupont de Nemours. La majorité des paysans étaient devenus propriétaires. Nous l'avons constaté déjà en parlant de la vente des biens du clergé au début de la Révolution au XVIIIe siècle, écrit Léonce de Lavergne, les petites propriétés étaient aussi nombreuses que de nos jours (v. Economie rurale de la France, p. 26 et Tocqueville, l'Ancien régime, p. 60-62).

            "A tous ces manuels acharnés au dénigrement du passé opposons la réponse d'un haut fonctionnaire du gouvernement, de M. Gasquet, directeur de l'enseignement primaire au ministère de l'instruction publique :

            "Il semble, dit-il, que pour beaucoup de nos primaires la Révolution ait tracé  une ligne de démarcation absolue entre deux époques ; qu'avant cette date fatidique la France ait végété en une ère d'ignorance et de ténèbres, en un abîme de souffrances et de misères où l'aube de 1789 commença à laisser filtrer le premier rayon d'espoir et de salut.

            "C'est là un conception simpliste et fausse. Elle est injurieuse pour nos ancêtres, capables d'avoir supporté si longtemps ce joug d'iniquité ; elle est impossible à concilier avec le chef-d'oeuvre de civilisation réalisés dans ce passé avec la collaboration de tous. Cet ancien régime a connu des siècles de splendeur et de prospérité. Des recherches des érudits et des documents qu'ils ont rassemblés, il semble résulter qu'au XIIIe siècle la France fut presque aussi riche, aussi peuplée et l'homme du peuple aussi heureux qu'il le fut jamais sur notre sol.

            "Et M. Gasquet ajoute plus loin. La féodalité fut accueillie, en son temps, comme un bienfait."

 

II - La vie et les moeurs à la campagne. - Les soirées au XVIe siècle. Dans ses notes sur la vie privée à la Renaissance, M. Edmond Bonafé a consacré un chapitre à la manière dont nos ancêtres, la journée achevée et les affaires faites, aimaient à passer le temps. Les soirées ou veillées, sur lesquelles nos vieux conteurs sont intarissables montrent quelle a toujours été l'aimable sociabilité de notre race. On n'aimait pas manger chez soi : on préférait porter son plat chez le voisin à tour de rôle pour deviser ensuite, une fois le couvert enlevé, et laisser venir tout doucement l'heure d'aller au lit. Guillaume Bouchet, l'auteur du recueil des contes intitulés Sérés, dit à ce propos : "Je ne saurait trop me saouler de louer l'honneste coutume et façon de vivre de laquelle on use en plusieurs villes de notre France où les parents, amis et voisins s'accordent à porter chacun son petit ordinaire en la maison tantôt de l'un tantôt de l'autre". Les soirées portaient différents noms suivant les provinces : sérées ou série en France ; sieste en Artois ; en Hainaut,  escriènes ; en Bourgogne, escraignes. Etienne Tabouret, dans ses Escraignes dijonnaises, nous a laissé une vive description de celle-ci. Il y avait dans chaque village une salle commune, sorte de hutte, faite de mottes de terre et de gazon soutenue par des pieux, où se réunissaient chaque soir les femmes et filles des vignerons avec leurs quenouilles, une petite lampe et un trappe de feu (chaufferette) pour "faire la veillée jusqu'à minuit", en compagnie des jeunes varlots et amoureux qui y vont pour découvrir le secret de leurs pensées à leurs amoureuses". En Bretagne ce sont les veillées et fileries, ne différant des escraignes qu'en ne ce qu'elles ne se tiennent pas dans un endroit spécial, mais chez l'un ou l'autre (c'était aussi l'usage à Bernon, usage qui existait encore sous le règne de Napoléon III). "C'est une vieille coutume en ce pays, dit Noël du Fail, et crois que partout ailleurs, de se trouver et amasser chez quelqu'un du village le soir, pour tromper les longueurs des nuits et principalement de l'hiver, au temps ou nous estions aux escholes à Bern, il se faisait des fileries qu'ils appelaient veillais, où se trouvaient des environs plusieurs valetz et hardeaux (jeunes garçons) illec s'essemblans et jouans à une infinité de jeux que Panurge n'eust onc en ses tablettes. Les filles les unes assizes en plus élevé sur une (huche) ou maie, à longues douettes ( en longues filles) afin de faire plus gorgiassement pirouetter leurs fuseaux, non sans être espiés s'ils tombaient, car en cas, il y a confiscation rachetable d'un baiser et, bien souvent il en tombait de guet à pans et à propos délibérés ; les autres moins ambitieuses estant en un coin près du feu, regardant par sur les épaules des autres et plus avancées, se haussant sur le bec du pied tirant et mordant leur fil et peut-être bavant dessus pour n'être que d'étoupe. Ceux qui voulaient tant peu fust faire les doux yeux, dérober quelques baisers à la sourdine, frappant sur l'épaule par derrière étaient contrôlés par un tas de vieilles qui perçaient de leurs yeux creux jusque dans le teot (étable) aux vaches ou par le maistre de la maison étant couché sur le costé en son lit bien clos et terrassé, et en telle vue qu'on ne lui pût rien cacher".

            Il faut croire que le contrôle n'était guère efficace ou qu'il s'était relâché avec le temps car, au XVIIe siècle, les évêques s'efforçaient d'interdire veillées, fileries et escraignes, comme étant la principale source "de la corruption et du vice des campagnes".

 

III - Ordonnances sur la répression des fraudes en 1481. - A tout homme ou femme qui aura vendu du lait mouillé, soit mis un entonnoir dedans sa gorge et le lait mouillé entonné jusques à temps qu'un médecin ou barbier, dise qu'il n'en peut, sans danger de mort, avaler davantage.

Tout homme ou femme qui aura vendu du beurre contenant navet, pierre ou autre chose, sera saisi et bien curieusement attaché à notre pilori du Pontel. Puis, sera ledit beurre, rudement posé sur sa tête, et laissé là tant que le soleil ne l'aura pas entièrement fait fondre. Pourront les chiens le venir lécher et le menu peuple l'outrager par telles épithètes diffamatoires qu'il lui plaira (sans offense de Dieu, du roi ni d'autres). Et si le temps ne s'y prête et n'est le soleil assez chaud, sera le délinquant en telle manière exposé, dans la grande salle de la geôle devant un beau gros et grand feu, où tout un chacun pourra le venir voir.

            Tout homme ou femme qui aura vendu oeufs pourris ou gâtés sera pris au corps et exposé sur notre pilori du Pontel. Seront lesdits oeufs abandonnés aux petits enfants qui, par manière de passe-temps joyeux s'ébattront à les lui lancer sur le visage ou dessus ses habillements pour faire rire le monde. Mais ne leur sera permis de jeter autres ordures.

                        Cette curieuse ordonnance, signée Jacques de Tourzel, se trouve dans les archives du Puy-de-Dôme.

 

IV - Ephémérides. - Jules César est le premier historien qui a mentionné dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, les différents peuples qui vivaient sur le territoire de l'ancienne Gaule, c'est-à-dire dans les limites de la France actuelle, et cela 58 ans avant Jésus-Christ. Il en a tracé un souvenir impérissable qui forme la base de notre histoire nationale.

            En l'an 407, les peuples d'outre-Rhin, longtemps contenus par les légions romaines dans les forêts de la Germanie, firent irruption dans la Gaule, qui fut presque toute entière à leur discrétion. Les provinces furent inondées, dévastées, sans résistance, par le pillage, l'incendie, la menace. Les écrivains du temps (Salvien, Paul Orose, Saint Jérôme), la représentent comme étant après le passage de ces fléaux, dans un tel état, qu'on n'y voyait plus ni hommes, ni troupeaux, ni habitations, ni cultures, ni arbres, et que la ruine eût été moins complète, quand l'Océan aurait débordé sur les campagnes.

            La peste dévasta le royaume de France, en l'année 1348, remplit de victimes les villes et les campagnes, suscita la secte étrange des Flagellants et causa le massacre des Juifs. L'avenir s'assombrissait au moment où Philippe VI mourut. Son fils Jean lui succéda sur le trône. C'était le prélude des calamités qui allaient fondre sur la France, pendant un long siècle de discussions intestines, de guerres, de revers et d'occupations étrangères (commencement de la guerre de cent ans).

            En 1356, le désastre de Poitiers eut de funestes conséquences : la marche triomphante des Anglais, les plaintes et les menaces des habitants des campagnes qui faisaient pressentir la Jacquerie. L'agriculture et le commerce furent arrêtés dans leur développement et chacun pourvut à sa sûreté. Les villes ouvertes, ou bien celles comme Bernon, jugeaient leurs défenses insuffisantes, réclamèrent des fortifications. "Elles firent très bien en cela, dit Foissart, autrement elles eussent été perdues et courues par trop de fois.

            C'est probablement pendant cette période de troubles et de misères, qu'on vit s'élever à Bernon, ces nombreux enclos de murailles autour des habitations et de la cité (dont la plupart sont encore debout), lesquels formaient autant de redoutes pour la défense du village, contre les ennemis du dehors.

            Avec la Révolution de 1789, les guerres de la République et de L'Empire, les invasions de 1815, de 1870 et de 1914, la France a subi de nouveau des maux sans nombre et aussi terribles que ceux des siècles passés ! Quand donc l'humanité verra-t-elle se fermer les portes du Temple de Janus, et la paix régner sur la terre ? Hélas ! cet heureux temps n'est sans doute pas près d'arriver, puisque la guerre semble être d'essence divine et s'est toujours révélée comme une nécessité : c'est dans la sang.

           

            V - La providence de Vico. - Ayant lu les anciens, et s'étant surtout pénétré de Machiavel, Vico emprunte à chacun, pour composer une philosophie basée sur l'histoire universelle. Il découvrit que les hommes sont menés par leurs appétits et que s'il était en leur pouvoir de gouverner le monde, ce serait bientôt la pire anarchie et la fin de tout. Mais le cours des événements est réglé ; l'évolution dans le sens du progrès, s'accomplit malgré eux et en dehors d'eux, grâce à la discipline qu'impose à leurs agitations une force dont ils sont à peine conscients, qui les domine, les dirige et les orient. Il donne à cette force éternelle, invisible, intelligente, le nom de Providence et non la loi du progrès. Pour Vico, cette Providence est de source divine. Elle est le type éternelle de la justice dont Dieu a déposé le germe dans le coeur de l'homme.

            Vico a prétendu établir que la Providence n'a assigné à chaque peuple qu'une existence limitée, qui n'est pas sans analogie avec celle des individus : les nations naissent avec les Dieux et les Mythes, passent aux héros et s'achèvent dans la civilisation. Au plus haute période de civilisation, elles se décomposent et se dissolvent. Arrivés à ce degré fâcheux de déliquescence, quelles ressources restent aux peuples ? Vico le dit expressément : Ils n'ont que trois moyens de finir : ou par la conquête étrangère, qui les incorpore à un peuple jeune et les revivifie ; ou par le despotisme qui les réforme, ou par l'anarchie, qui, en ramenant la nation à l'état de sauvagerie, la fait reculer jusqu'à ses origines et l'oblige à recommencer.

            Sommes-nous donc arrivés à ce degré fâcheux de déliquescence dont parle Vico ? On le croirait à voir ce qui se passe en France, du haut en bas de l'échelle sociale depuis la Révolution de 1789.

 

            VI - Lendemain de Révolution. - Réfugié à Zurich pendant la Terreur, M. Meister revint à Paris, au moins de septembre 1795, à la veille du jour où le peuple français allait voter la constitution de l'an III. Dans ses souvenirs, M. Meister raconte simplement, objectivement, ce qu'il a vu en traversant notre pays.

            Partout, il a été frappé de la lassitude, du mécontentement général qui règne dans le peuple et de son indifférence parfaite au succès ou à l'échec, du nouvel ordre de choses. Selon lui la grande majorité de la nation était neutre au moment de la Révolution. Elle n'a cédé qu'à la terreur du despotisme révolutionnaire. Un petit nombre de violents résolus, a su imposer sa volonté à l'immense masse des insouciants et des faibles.

            L'immense majorité du peuple français ne tient pas du tout au nouvel ordre de choses, mais une minorité énergique est seule à agir, les autres ne demandent que repos, paix et un certain confort résigné. Ceux qui ont réellement gagné à la Révolution sont peu nombreux, et une aubergiste de Vesoul exprime le sentiment général, quand elle dit à Meister : "Ah ! monsieur, pour un que la Révolution enrichit, croyez qu'elle en appauvrit mille".

            Meister remarque que, plus on est loin de Paris, moins le peuple aime le nouveau régime, moins il y croit. Dans beaucoup de campagnes on refuse, non seulement les assignats, mais les écus qui ne portent pas l'effigie royale. (Le Louis d'or de 20 francs a valu 2 000 francs.).

            A Paris, partout on spécule et on tripote. On vend, on achète, on revend des terrains pour des millions, sans savoir ce qu'on fait : le brocantage est général et la ville apparaît comme une immense friperie.

            Un bon nombre d'agioteurs font fortune, mais les denrées nécessaires à la vie sont plus chères qu'autrefois et une véritable disette règne. Paris serait mort de faim sans les énormes distributions officielles et quotidiennes de pain, vivres, chandelles, charbon, que le gouvernement fait contre des bons à prix réduit. Le peuple fait la queue aux guichets, murmure et revend ses bons aux agioteurs. D'autres, craignant de mourir de faim, élèvent des lapins et des chèvres.

            En résumé, la masse est indifférente et la République ne se maintient que par l'audace et l'habileté de ses artisans, par l'incapacité et les divisions de ses adversaires.

            A combien de révolutions on pourrait appliquer le jugement de Meister !

 

            VII - Pendant et depuis la guerre de 1914-1918, nous assistons aux mêmes turpitudes, aux mêmes méfaits de la brocante et du mercantilisme triomphants ; nos gouvernements donnent d'ailleurs eux-mêmes l'exemple, en dilapidant la richesse acquise, le Trésor Public, par des lois de circonstances et d'exception pour enrichir la tourbe des profiteurs sans scrupules, au détriment des citoyens paisibles et honnêtes ; à ce point, qu'on désigne maintenant la société française sous deux catégories :

" les nouveaux riches et les pauvres nouveaux " ; les premiers, vivant bien, jouissant copieusement de tous les avantages que donne la richesse, sont enviés et respectés par la multitude ; tandis que les seconds, tristes et résignés, vivant mal et, obligés de se priver souvent des choses les plus nécessaires, sont abandonnés et méprisés par les nouveaux riches et par la jeunesse, qui n'ont plus de sollicitude que pour l'argent et les plaisirs !...

            "Ce n'est pas la République de 1870 qui nous a tués ; ce n'est pas non plus l'Empire, ni même le régime précédent, quoiqu'il n'y ait pas nui. Toutes ces formes et tous ces systèmes ne sont que des figures diverses de même ulcère provenant du même sang vicié. Nous mourons de la Révolution de 1789."1.

 

1 - Louis Veuillot (Lettres d'un catholique).
TABLE DES MATIERES

 

 

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                                                                                                                                    Pages

Avant-propos                                                                                                           

 

 

 

PREMIERE  PARTIE

 

Géographie Physique

 

 

 

Nom, situation, limite, superficie                                                                              

 

 

DEUXIEME PARTIE

 

Histoire

 

 

 

Chapitre premier - Epoque gallique et gallo-romaine                                               

Chapitre II - Epoque franque                                                                                  

Chapitre III - Epoque féodale                                                                                  

Chapitre IV - Epoque moderne                                                                               

Appendice                                                                                                                

 

 

 

 

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